Govrache, vache (vach’ment vrai !)
Quant il faut faire découvrir Corneille ou Hugo à leurs élèves, les profs sont souvent désemparés, on n’ose dire Mallarmé(s). Merde chui Prof !, il y a 855 000 potentiels fans de cette chanson : les enseignants, qui forcément s’y reconnaitront, retrouveront leur quotidien qui ne fait plus vraiment rêver même s’il vous reste encore un peu, un petit peu, de la vocation d’origine. Leurs homologues francophones aussi, qui doivent vivre les même affres, ainsi que des parents d’élèves plus conscients que d’autres. Ça fait du monde, lectorat de Télérama et auditeurs de France-Inter et France-Culture : ça devrait mathématiquement faire la fortune de Govrache, ce potentiel tube qu’est Merde chui Prof ! (la majuscule à Prof est d’origine, laissons-là).
Il y a l’établissement scolaire. Et puis le dehors, le reste de la société. Là c’est pareil : le monde restitué par Govrache n’est pas joli, joli. Il n’a même pas l’excuse d’un faux nez dans un dessin de Sempé. Tout est à faire, tout en enfer : celui des soldes (« Sur les trottoirs les hommes fument en s’énervant… »), celui de retour de vacances du comptable qui compte et recompte les heures restant à travailler jusqu’au prochain mois d’Août…, les mêmes gestes, les mêmes haleines qui ne pensent qu’à vous rouler des pelles… Govrache chante l’ennui, l’absurdité, les gestes mille fois répétés, l’absence de perspectives, le no présent, le no futur.
Chez Govrache comme dans la vie, y’a pas que le poisson rouge qui tout l’temps « tourne en rond dans un bocal carré. » Le matin vous sortez le même chien (« cinq ans que je regarde le même chien pisser sur la même roue de voiture »), le soir la même femme, les vaches regardent toutes les mêmes trains. Train-train. Nos vies sont tristes à mourir et je crois que Govrache s’en amuse car même si c’est son fond de commerce, il ne doit pas passer toute sa vie à gueuler sur autrui. Lui fait seulement des photos, polaroïds ou selfies, de ces vies monotones, sans grand espoir et sans relief, sauf à gagner le quinté dans l’ordre.
Le vigile du centre commercial (Terminator) n’a, au contraire de ses homologues jadis chantés par Souchon (Le bagad de Lann-Bihoué) et par Renaud (La ballade de Willy Brouillard), rien de sympathique. Pas joli joli je vous dis, et le chanter – l’écouter pareillement – tient sans doute de la thérapie : se moquer de soi-même (car nous ne sommes pas différents), englué dans la vie, est aussi façon de résister.
Y-a-t’il, en cet album, un vers plus rassurant qu’un autre, moins déprimant ? Oui, mais faut convoquer Brassens, un soir d’orage, guettant les stratus, les nimbus, le moindre cumulus… Brassens et sa femme, enfin celle de Govrache, qui « est comme le Finistère dans sa plus belle journée de soleil. » Ce concentré d’anti-princesse, « la seule fée du tout-Paris mais en mieux », mérite amplement ce slam qui joliment clôt l’opus et nous réconcilie avec la vie. C’est quand qu’il nous présente sa femme, Govrache ?
Govrache, Merde chui Prof, distribution (rue stendhal) 2016. Le site de Govrache, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là. Et pourtant retrouver Govrache au naturel, sur scène et AVEC casquette, on regardera avec plaisir les photos de l’ami Vincent Capraro.
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