Guy Béart, singulier quidam au destin de chanteur anonyme
Il n’y a vraiment que le sous-titre de cet ouvrage qui puisse nous chagriner, bien qu’hélas il soit on ne peut plus vrai : « Il n’y a plus d’après ». Béart est mort et enterré et il y a bien peu de chance pour, si ce n’est L’eau vive qu’on prendra pour « chanson traditionnelle » (beau destin pour une chanson autant que pour un artiste « qui souhaitait qu’on se souvienne de lui comme d’un troubadour anonyme du XXe siècle »…), que la mémoire collective l’exhume de l’oubli où il est entré longtemps avant son trépas. Si tous les spécialistes et amateurs de la Chanson s’accordent sans mal à le reconnaître pour un des très grands de cet art (longtemps, en parlant des « trois B » de la chanson, on nommait Brel, Brassens et Béart, qui tous se sont produits aux 3 Baudets), son nom s’est estompé prématurément du fronton de son art.
Notre confrère Baptiste Vignol s’attaque, façon de parler, à ce monstre sacré récemment décédé. Ici, dans ces quelques trois cent pages, on fait l’économie de l’enfance, de l’adolescence, à peine esquissées. C’est quasiment à son entrée en scène que ce livre débute. Voici, timidement, cet ingénieur en travaux public qui trousse dans son coin de bien belles et singulières chansons, avec un vocabulaire inconnu des rimes d’alors (essayez d’y caser les grands principes, le grand chambardement, Chandernagor et quidam…), dans le but de les présenter, dans l’espoir d’en trouver le ou les interprètes. A ce moment-là, l’histoire ressemble à celle de Brassens. D’autant plus que Béart lui aussi ne fait que se chanter, que de mettre sa vie en chanson. Difficile dans son œuvre alors présente et celle, immense, qui reste à venir de trouver une chanson qui ne soit pas autobiographique. « Si, Le matin, je m’éveille en chantant, comme c’est expliqué dans le livre. Entre temps ramait d’Aboville et Bonne année, bonne chance, ça doit être tout » me précise Baptiste Vignol. Dire que jadis Béart avait publié une autobiographie (L’espérance folle, Robert Laffont, 1987) qui ne pouvait alors que faire redondance, puisque son œuvre est consubstantielle à sa vie, et le raconte par tous ses vers. En ce sens, on tiendra le livre de Vignol non comme une bio – c’en est une cependant – mais pour le très agréable et instructif mode d’emploi de l’œuvre de Guy Béart.
Armé de ce livre, de l’intégrale de ses textes parue il y a trois ans au Cherche midi (Le grand chambardement) et de ce qu’il est possible de se procurer de sa discographie (c’est quand même là où le bat blesse*), il est possible d’entrer pleinement dans l’œuvre et la vie de Béart, de parfois la reconsidérer, de sûrement la réévaluer. Car force est d’admettre que la personnalité même de Guy Béart, parfois urticante, avait fini par le desservir grandement. Le livre de Baptiste Vignol, sans nullement être plaidoirie d’avocat, redonne au chanteur du Bal chez Temporel sa juste et imposante dimension dans la chanson, son génie, son talent, retrace sa vie « tumultueuse » à grands traits, parfois un peu vite, sans évacuer ses mésaventures professionnelles et des travers parfois désagréables. Le rendu n’en est que plus humain : Vignol ne repeint pas la statue du commandeur mais dépeint un homme contrasté, un artiste qui, est-ce volonté est-ce résignation, n’avait pour ambition que de devenir inconnu. Et disparaître derrière ou dans ses chansons. Encore faut-il que celles-ci soient diffusées (c’est mal barré) et/ou reprises : puisque telle est la mode du moment, reprenez-le !**
Baptiste Vignol, Guy Béart Il n’y a plus d’après, L’Archipel 2016, 304 pages, 20 €. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Guy Béart, c’est ici ; ce qu’aussi nous avons dit de Baptiste Vignol, c’est là.
(*) Signalons cette double compilation de 37 titres sortie il y a peu chez EMP : Guy Béart, Chansons intemporelles. (**) Emmanuelle Béart enregistre actuellement un album de reprises de chansons de son père, en son hommage.
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