Un « Je chante ! » très francarabe

Si sur la toile, surtout depuis la naissance de NosEnchanteurs, les sites et blogs consacrés à la Chanson semblent se multiplier, pour un résultat très inégal, la presse papier en ce domaine est désormais peau de chagrin. Rien en kiosques, si ce n’est Platine et FrancoFans, ce dernier souffrant d’une distribution lamentable qui le rend sinon inexistant au moins invisible.

Régulièrement nous aimons rendre hommage à deux magazines disponibles uniquement sur abonnement : Vinyl et Je Chante !

On vous a déjà dit ici tout le bien que nous pensons de Je chante !, magazine qui n’ose plus afficher sa périodicité contrariée : en fait, il sort désormais une fois par an ce qui lui permet chaque fois, c’est pas idiot, de fêter son anniversaire. Là, il a vingt-cinq ans.

Je chante ! est, pour ceux que ne connaissent pas cette revue, de cette qualité qui, il y a peu encore, fit Chorus : des articles redoutablement étayés, documentés, érudits. Avec cependant une inclinaison naturelle pour la chanson passée – ce qui le différencie de Chorus –, même si les derniers numéros s’ouvrent plus volontiers sur la chanson d’aujourd’hui (sur le numéro 11 de décembre 2014 : Marie Baraton en couverture, Valérie Mischler, HK et les Déserteurs, Eric Frasiak… ; sur le 12 de janvier 2016, deux pages sur Monsieur Poli et Sève et coups de projecteurs sur Yves Jamait, Carré de dames et Rémo Gary : pour le coup, c’est peu). Le sommaire de Je chante ! n’est indexé ni aux tocades du moment, de ces produits qu’on lance, ni au retour en grâce d’anciens du métier, de prétendues stars dont on va susciter des souvenirs dignes des revues people : Je Chante ! n’est heureusement pas Platine. La rédaction de Je Chante ! n’est faite que d’historiens de la Chanson, même bénévoles, qui, à chaque numéro, abattent un travail titanesque et nous font regretter cette périodicité hélas si éparse. Bravo donc à l’équipe animée par Raoul Bellaïche.

La thématique de ce numéro est sur la Chanson « francarabe » (Maurice El Médioni, Bond-blond, Lili Boniche, Salim Halali, Josette Kalifa, Reinette l’Oranaise…) et, en conséquence, les deux principaux dossiers sur Line Monty et Enrico Macias (36 pages sur le plus célèbre pied-noir de la chanson, poï poï poï). Le résultat est comme à l’accoutumé passionnant pour peu qu’on s’y plonge dedans. C’est à de tels dossiers qu’on s’aperçoit que l’Histoire de la Chanson c’est d’abord et avant tout de l’Histoire et que l’écoute des 45 et 33 tours est souvent aussi instructive que de doctes livres de grands érudits. En cinquante ans de carrière, l’Algérie reste le thème majeur des chansons d’Enrico Macias, qui ne cesse d’évoquer la déchirure de l’exode des Pieds-Noirs en 1962 : « Non, je n’ai pas oublié / Bien que ma vie ait changé / Mais le silence est souvent / Une façon d’aimer… » Au-delà du dossier Macias, Je Chante ! nous refait le parcours de la chanson francarabe, de tous ses artistes, ses succès, ses commerces, ses éditeurs et producteurs. Comme une patiente et passionnante enquête qui remonte la piste, de la Casbah au boulevard de la Chapelle, fouillant les mémoires, exhumant des piles de disques de petits trésors dont, pour le coup, il ne manque vraiment que le son.

Signalons aussi dans ce numéro deux excellentes pages sur Monsieur Poli (avec Sève) pour dire son retour (que NosEnchanteurs a salué avant tout le monde) dans une passionnante formule voix-harpe, sonorité étrange qui magnifie les morceaux et met plus en exergue encore les mots.

Je Chante ! Association « Panorama de la Chanson », 7 rue du panorama 77500 Chelles (tél. 01.64.21.63.52). N°10, janvier 2016, 84 pages, 7,50 € Le site de Je Chante ! c’est ici.