Nevché et Gildas Etevenard, pour l’ouïe et pour l’âme
Nevché et Gildas Etevenard, Le Petit duc à Aix-en-Provence, 5 mars 2016
A la voix et aux guitares acoustique et électrique, Nevché (Frédéric Nevchehirlian) est loin d’être un inconnu pour les Marseillais. D’une part, il a consacré un album entier à son adolescence marseillaise, Rétroviseur (2014), d’autre part, on le voit un peu partout dans la vie culturelle de la cité phocéenne, pourvu qu’il s’agisse de beaux mots, de musique sans barrières et d’amitiés artistiques. Il se balade aussi en France, en Suisse, au Québec ou au Maroc. Chanteur ou slameur, poète engagé et musicien toujours.
Son acolyte Gildas Etevenard, à la batterie complétée d’un cymbalum (cithare de table) et d’un glockenspiel (sorte de xylophone à lames de métal), est également compositeur et interprète de mots dits ou chantés.
Nevché a choisi ici un répertoire d’inédits d’un Prévert très social, sélectionnés avec Eugénie Bachelot-Prévert, la petite fille du poète, pour son avant-dernier album Le soleil brille pour tout le monde (2011). Ces poèmes-là, on ne les accompagne pas à la harpe ou au piano, il convient d’envoyer du bois, et le rock puissant mais contrôlé de nos deux comparses les propulse parfaitement.
La voix douce et prenante, qui se voile et se crie, pressante et discrète à la fois, si caressante qu’on ne sait jamais si elle nous conte ou nous chante, nous embarque dans le monde que Nevché partage avec Prévert, de confidences sur l’enfance à son parcours engagé « Maintenant j’ai grandi / les idées aussi (…) Et je leur ris toujours au nez. » Guitare et batterie inspirées soutiennent le cours dramatique ou faussement léger des textes, comme cetteAttendez-moi sous l’Orme, en forme de chanson traditionnelle médiévale qui sert de parabole pour dénoncer le peu d’intérêt des puissants pour le peuple : « Et le /Roi se relève / Et s’incline trois fois / Je me suis fait attendre / Marion excusez-moi. » La salle l’accompagne déjà de ses pampampapam, pampampapapa, compensant le nombre décevant de spectateurs par un enthousiasme immédiat.
Dès les premiers textes écrits sur Citroën en 1933, l’actualité nous rattrape : « Et si le chiffre d’affaires vient à baisser, pour que malgré tout / Les bénéfices ne diminuent pas, il suffit d’augmenter la cadence et de / Baisser les salaires des ouvriers », ou dans ce Il ne faut pas rire avec ces gens-là qui évoque la commune : « Il y a trop de travailleurs dans le monde / Il faut les expédier dans l’autre », ou encore dans le dérisoire Marche ou crève de l’armée des miséreux envoyée contre les grévistes.
Émotion à son comble pour les mots simples de la Lettre à Janine (sa femme) « J’ai envie de toi /Je voudrais qu’il fasse beau / Que cette guerre s’arrête » rythmés par les ponctuations sèches comme des coups de feu de la batterie.
Changement d’atmosphère avec le paletot idéal de Ma bohème d’ Arthur Rimbaud murmuré au son des guitares et de la batterie amortie puis fusant dans une atmosphère d’orage.
En partie improvisée sur scène, une avant première du spectacle Shooting Stars, le tableau L’hiver blanc, ( du regretté marseillais Christophe Tarkos), peint de cymbales résonnantes, cloches et gouttes de pluie des lames effleurées. Nevché s’incarne sans problème en Marilyn Monroe « Je ne cherche pas à voir ces choses… / Je cherche mon amant » comme en Kurt Cobain sur une suite entêtante de notes de guitare.
Pour finir quelques chansons et à nouveau deux avertissements de Prévert : « Travailleurs attention / Votre vie est à vous / Ne vous la laissez pas prendre » Laissons le conclure « Et nous avons ajouté (…) la grande semaine des quarante heures et celle des quatre jeudis (…) Une minute de cris de joie de chansons de rires et de bruits et de longues nuits pour dormir en hiver avec des heures supplémentaires pour rêver qu’on est en été et de longs jours pour faire l’amour (…) Nous avons perdu notre temps / c’est un fait / mais c’était un si mauvais temps. »
Le site de Fred Nevché, c’est ici. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Fred Nevché c’est là.
« Citroën », session acoustique au Cargo, 2012
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