Portraits de femmes avec Annick Cisaruk au milieu
« La vie en vrac », Théâtre de la Contrescarpe à Paris, 2 mars 2016,
Ça fait des années qu’avec son accordéoniste et complice David Venitucci elle nous ravit de ses spectacles sur Barbara ou Ferré, et d’autres encore.
Là, en cette époque compliquée, difficile pour la chanson, c’est à qui fera des reprises en veux-tu en voilà, à la télé comme devant de plus modestes auditoires. A croire qu’il n’y a plus que ça, que le public ne peut plus imaginer et entendre que cette chanson-là. La chanson est comme le Père-Lachaise, frappée de regrets autant que d’alignement.
Quand tous se mettent à leur tour à repriser la chanson, que fait donc la Cisaruk ? Pardi, elle, elle crée !
Il est dit que jadis Yanowski – celui du Cirque des Mirages – et Cisaruk se rencontrèrent et surent d’instinct, rare évidence, qu’ils travailleraient ensemble. Patience et longueur du temps. Ces deux-là évoluent dans un même cercle d’exigence, d’intelligence, dans le nectar, la soie des mots qui se font pleins et déliés, se gonflent d’importance et de beauté aussi sûrement que le généreux soufflet de Venitucci.
Cisaruk lui demanda un, deux textes même, pour un spectacle à venir. Un, deux ? Trop peu. Yanowski lui livra de quoi nourrir tout un spectacle. Car tisse-t-on une seule et simple pièce d’étoffe pour habiller Annick Cisaruk ? Non, on ne peut que lui faire le coup des grands couturiers, du Christian Lacroix et du Coco Chanel, du Paco Rabanne, du Pierre Balmain, de tout un défilé pour elle tout seule, dans le faste de mots délicatement ouvragés, brodés et surpiqués. On lui cisèle aussi des pierres précieuses exhumées de fantasmagoriques mines, serties de pur talent. Car avoir pour réceptacle de ses vers une telle interprète est chose rare, presque inespérée, comme un Graal. On ne fait pas les choses à demi.
Yanowski le poète, l’arrimeur de complaintes, à écrit, faisant non pas le portrait de Cisaruk, mais ses portraits, demi-teintes et pleine lumière, autant de propositions qu’elle est de femmes à elle toute seule. Des portraits, des tableaux. Des fresques, des films presque qui, au cinéma, auraient été signés Fritz Lang pour les uns, Bergman pour les autres.
Cisaruk s’est racontée à lui. Lui en a fait des fictions vraies, tantôt sépia, parfois colorisées, dans des studios à la Trauner comme en des décors naturels, coupe-gorges et roulottes de gitans, poésie qui vente et parfois cingle de ses mots… Elle est la vieille femme qui se récite la litanie de ses amours perdus et la jeune fille qui s’en va faire sa vie (« Ma mère je m’en vais / J’ai quinze ans cet automne… ») dans la grande ville qui frémit comme une coupe de Champagne. Celle qui a connu bien des hommes, même Dieu, et se joue d’eux : « Dieu est mon plus proche complice puisqu’il a inventé la vie entre ses lèvres dépravées. » Elle est la slave et la gouailleuse, celle dont la vie tourbillonne en faisant la tournée des grands ducs. Une femme et ses destins, ses chemins, ses refrains. Tout, paradoxalement non pas pour révéler Annick Cisaruk mais plus encore nous la rendre mystérieuse, proche et lointaine à la fois, faire le lit des folles légendes à venir, tenter d’en soulever les draps, d’en gagner l’oreiller. La trouver plus belle encore. Et prier pour son salut.
Le site d’Annick Cisaruk, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là. Au Théâtre de la Contrescarpe, à Paris, les 16 mars et 5 avril 2016 à 20h.
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