Manu Lods, pigeon, hirondelle et tourtereaux
C’est pas qu’il soit né de la cuisse de Font & Val, mais c’est tout comme, lui qui fit longtemps leurs premières parties à l’orée des années quatre-vingt dix, puis fut un temps coursier à Charlie-Hebdo avant d’écrire dedans. Est-ce de ce temps que Manu Lods a gardé par capillarité un timbre qui n’est pas sans faire songer à Philippe Val ? Ça vous saute plus encore aux tympans quand vous écoutez Le pigeon du 11 janvier, une chanson sur ce fameux jour d’après massacre, de concorde nationale (« Tout l’monde portait le même prénom ce jour-là dans la rue / Entre République et Nation c’était du jamais vu ») et d’un pigeon sans doute anar qui s’en va chier sur l’épaule présidentielle, pour faire marrer les rescapés de Charlie, Luz et Pelloux au premier plan, Lods juste derrière.
C’est ça Manu Lods, souvent des chansons de circonstance. S’il n’est pas le premier à avoir fait une chanson sur Charlie et ses dessinateurs-martyrs, lui l’a colorié des mêmes crayons, taillés pareillement : rire pour ne pas en pleurer encore.
C’est pas pour rien que le disque s’intitule Garder le fou-rire. En toutes circonstances.
On aurait envie de dire du coq à l’ânesse pour évoquer aussi La peste blonde (« Peste brune et bête immonde se sont démocratisées / La peste blonde vise l’Élysée ») mais il n’est pas sûr que l’haleine de la fille du borgne soit plus fraîche que celle de Daech ; c’est un des autres périls de ce monde…
Autre chanson qui accompagne la marche de ce monde, La non-demande en mariage pour tous qu’on a envie, d’instinct, de conseiller à Pécresse et Wauquiez : sans doute ne la comprendraient-ils pas. « Je crois que j’ai peur que cet anneau ne dénature / Notre amour dit contre nature » « Trop de tourtereaux se séparent dans des bruits de vaisselle / Pour s’être bagués comme on bague des tourterelles… »
Lods fait des chansons comme s’il photographiait sur le vif de l’intime et du collectif, du petit événement aux plus grands destins : « Y’a plusieurs vies dans une vie / Faut qu’on profite de chacune. » Nous on est dans ses photos : tout bébé, né d’un Tandem, filiforme ou en surcharge pondérale (L’hirondelle), addict à l’internet ou à l »alcool ou désolé d’une vie qui n’est pas celle qu’on rêvait : « Faut-il toujours, faut-il sans cesse quand on grandit / Revoir ses rêves à la baisse / Rêver de plus en plus petit ? » Si ce thème a souvent été exploré par Souchon (comme dans Le bagad de Lann-Bihoué), il n’en est pas moins intéressant vu par Lods. Nous sommes d’ailleurs en terrain de connaissances avec lui, et c’est confortable. S’il nous fait aussi songer à Le Forestier avec ses correspondances de guerre, à Graeme Allwright avec ses amis ivres de la Saint-Patrick, à Éric Toulis aussi parce qu’il chante en duo avec… La belle et grande famille que voilà.
Certains de ses sujets, par d’autres que lui, pourraient faire prise de tête. Sauf que c’est Lods, une chanson pêchue à l’interprétation franche et plutôt joyeuse, presque optimiste, secouée par pas mal d’instruments qui ont la politesse de rester à leur juste place.
Manu Lods, Garder le fou-rire, Les Guitares en bois/(rue stendhal) 2016. Sortie du disque le 5 février 2016, concert de sortie d’album le jeudi 18 février 2016 au Zèbre de Belleville à Paris. Le site de Manu Lods, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Manu Lods, c’est ici.
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