Philippe Crab, nébuleuse en clair-obscur
J’avais adoré le Philippe Crab des débuts, l’album L’autre soir de 2006, belle voix bien placée, mots bien articulés, sa chanson poétique, aux orchestrations presque rock, puis l’intimiste La chambre en 2008, où les cordes, violon, piano et même batterie se faisaient plus discrets, puis le Bestiaire de 2011 . Une sorte de Genesis français à lui tout seul, parfait équilibre entre le tendre et le savant. Mais déjà la voix dérivait vers des hauteurs rêveuses, et la musique se faisait plus épurée, presque psalmodie, et son goût pour « les accords augmentés et la gamme altérée » ne pouvait plus rester ignoré.
Quand arriva Necora Puber en 2014, après une attente qui me parut très longue, que dire… Je restai sur la rive, malgré tous mes efforts pour entrer dans cette longue et lente plainte en marécage épousant un récit à la prose parfois hermétique, avec ses instruments du bout du monde aux sons atonaux étranges à mes oreilles…
Et puis vinrent les sessions acoustiques chez le luthier de Necora Puber, avec toujours les voix de Philippe et de Léonore (Boulanger, artiste amie et complice.) Une étrange alchimie entre les chanteurs musiciens et ce cadre miraculeux, rassurant du luthier, magicien de ses multiples outils bien rangés au mur, de ses violons sagement alignés, de ses instruments de bois, créés, caressés, réchauffés de ses mains. Le grincement léger de l’archet frotté au bouzouki, les percussions discrètes, caressées sur les balafons, l’envoûtante mélopée de Philippe mêlée au son de sa guitare, les regards échangés entre les musiciens finirent par me convaincre d’entrer dans cet univers.
Sur « Ridyller Rasitorier Rasibus » ( août 2015), titre d’album dont je laisse l’entière responsabilité à l’auteur, n’attendez pas de moi une expertise musicale ni littéraire. D’autres l’ont fait, le feront mieux que moi, ont sans doute consacré des thèses entières de musicologie, ou de poésie contemporaine à l’œuvre de Philippe Crab.
Non, je voudrais juste vous donner l’envie, la curiosité, d’aller voir un peu plus loin, un peu plus profond, dans ce qu’on appelle, faute de mieux, la chanson.
Philippe, si ce n’est Crab, son nom de scène, me pardonnera sans doute mes imprécisions techniques, musicales ou linguistiques.
D’abord écouter ses extraits live au fond, tout au fond d’une cave parisienne transformée en studio de répétition, puis involontairement en refuge contre la barbarie, puisque la session se déroula le 13 novembre 2015.
Ensuite laisser tous ses préjugés cartésiens pour tendre l’oreille aux 18 titres de l’album, et se laisser bercer par les sonorités étranges, les pincements, gémissements ou percussions des cordes de la guitare (plus d’instruments exotiques comme dans le précédent opus), chuchotements ponctués parfois de claires voix d’enfant…Perdons-nous dans les méandres d’une forêt humide où se croisent d’étranges personnages, héros, sirènes, cancres franzosen dans un emballement verbal et musical.
« Who the hell still sings stories in the twenty first century ?? /On n’a pas idée de chanter des histoires (encore) en 2014 (…)Malaisé de savoir /Ce qu’on a dans la tête/ L’âme n’en parlons pas /Alors les autres/ L’ont-il moqué ou pas, / S’est-il montré ingrat ? / Ferait-il fausse route ? » C’est Mashuk, qui vous donnera la tonalité de l’album.
Reprenons au début, Le rasoir d’O où Crab semble laisser vagabonder son esprit du coq à l’âne, « barbillon du coq ou du silure », chaque mot suscitant une idée, envoyant un autre mot appelant une autre association d’idée… Long voyage au sein de la nature, dans le temps sous Le pont qui peut attendre, tout comme vous, mais pas lui qui n’a pas la patience, en suspend sur huit minutes… Une idylle interrompue mêlée d’une voix off, puis d’une voix d’enfant, sera reprise dans un Désidyllons « Des séraphins des houris d’autres tisanes atroces…Finie la romance / Nous désidyllons » rythmé par de douces percussions au train de nuages qui passent, et de voix qui se superposent sans s’écouter.
Les sonorités priment sur le sens, avec le mélange de mythologie, de mots rares et d’un surréalisme débridé, Phorie qui convoque le roi des Aulnes, Agraulé qui se promène « chassée par cetardiodactyle /et le dieu Pan rigole /c’est bien joli mais /qu’est-ce qu’il fait froid ». Aura-t-il le temps de tout nous dire au sein de cette Opulente nature « quand des nuages aquarellés vont s’ourler de violet » ? Va-t-on s’envoler avec Crab au sein de ces compagnies cycloportées, survoler les berlines, les vigiles et les hôtels enflés ? « Réponds, Réponds » nous dit l’Echo…
Philippe Crab Ridyller Rasitorier Rasibus ( août 2015) Label Le Saule. Le site de Philippe Crab sur Bandcamp, c’est ici et sur Le Saule, là. Ce que NosEnchanteurs on en a déjà dit, c’est là.
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