Stephan Eicher, l’amour à la machine
Bruxelles, Cirque Royal, 15 décembre 2015,
Stephan Eicher n’en fait qu’à sa tête ! Mais comme il l’a plutôt bien pleine, on ne s’en plaindra pas…
Nous l’avions quitté voici deux ans, dans la tournée qui avait suivi son Envolée de belle facture. Il y parcourait son album et revisitait son répertoire avec l’appui d’une solide formation de quatre musiciens, dans de splendides orchestrations où le bugle et le trombone à coulisses se taillaient la part du lion. Poursuivant dans son refus de rouler sur les rails que d’autres ont posés, il nous offre aujourd’hui de le retrouver, sans aucun nouvel opus discographique à la clé, dans une formule en solo. Ou presque ! En effet, s’il est bien le seul être de chair et de sang à fouler la scène, il chante entouré d’un abondant orchestre mécanique, dont la présence vaut bien celle des requins de studios nageant dans les eaux du show-biz. Le spectacle s’intitule, en allemand dans le texte, Stephan Eicherund die Automaten.
Ses automates, ce sont une batterie, un piano, un xylophone, un accordéon, des orgues et un délicat glockenspiel, qui lui volera la vedette lorsque viendra le tour de son célèbre Combien de temps. Le chanteur les dirige à l’aide d’un pédalier ou par un boîtier fixé à son piano ou sa guitare. Cela pourrait paraître laborieux, c’est tout simplement magique.
Malgré l’intense concentration que doit lui demander sa prestation, l’artiste nous aura rarement paru aussi décontracté. Secondé dans sa tâche par un subtil light-show mettant en valeur la féérie de son orchestre, il prendra le temps de nous donner des explications sur sa machinerie, de répondre aux interpellations de la salle, de digresser quand le cœur lui en dit… L’Eicher est gai (et il n’a pas lu tous les livres) et camoufle sous cette facilité apparente le colossal travail qu’a dû nécessiter le spectacle !
Durant près de deux heures, notre helvète favori va enchaîner titres inédits et succès certifiés, tout en plaisantant sur ses capacités limitées au piano (« je n’utilise que le milieu du clavier, sur environ 60 cm, juste un petit peu plus que David Guetta ») ou en évoquant avec nostalgie le temps des journaux du matin, introduction à son incontournable Déjeuner en paix qu’il nous proposera dans un tempo modéré. La sympathie qu’il dégage est immédiate, son délicieux accent suisse-allemand ajoute à son charme, le charisme naturel apporte la touche finale. Une mécanique bien huilée aux relents de perfection.
Quand, pour conclure, il nous présentera les membres de son orchestre (« A l’accordéon, l’accordéon ! »), chaque instrument aura droit à son ovation bien méritée. Le chanteur pourra alors se retirer, légitimement fier de la soirée qu’il nous aura offerte, cadeau d’un artiste exigeant, généreux, hors normes, visant à la fois le cœur et l’esprit de son public. C’est trop rare pour qu’on ne le souligne pas mille fois.
La cinquantaine va bien à Stephan Eicher avec des projets toujours plus audacieux et hors normes, un approfondissement au plan musical, un partenariat textuel, intellectuel et amical avec Djian toujours plus étroit, qui met en valeur ses musiques aussi bien qu’un vêtement haute-couture. Du grand art…dont on espère vivement qu’il durera encore longtemps.