Rue Drouot, saga d’un mini-golf devenu temple du rock
On a du mal à s’imaginer que ce fut d’abord un sage salon de thé, à l’étage du Café d’Angleterre, dans le IXe arrondissement. Mais avec, étonnante singularité en un tel lieu maniéré, un mini golf intérieur. De neuf trous. Un golf rue Drouot… Il a fallu qu’un barman inspiré et visionnaire, Henri Leproux, ait l’idée, un rien révolutionnaire en cet endroit de tisanes et de pâtisseries, d’y installer un juke-box puis une scène pour que ce lieu tranquille devienne le Golf Drouot, pendant une vingtaine d’année (de 1961 à 1981) l’une des salles les plus importantes de l’Histoire de la Musique, lieu de naissance et épicentre du rock en France. Du rock et du yéyé, du twist, de la pop, du prog-rock, du pub-rock, du hard-rock, du punk et de la new-wave, tout est né ici.
Si, en Europe, l’essentiel du rock s’écrit en Angleterre, l’Hexagone et particulièrement Paris ne donnent pas leur part aux chiens. C’est certes un rock déjà édulcoré par rapport à ses origines étasuniennes, « variétisé ». Qu’importe, l’arrivée du rock est un raz-de-marée qui bouleverse la donne, rend caduque la chanson, en congédie nombre d’acteurs, change les règles du jeu et squatte à outrance les médias, même si la presse dans un premier temps s’en offusque. Nous mesurons encore les conséquences de ce choc qu’il n’a d’égal que celui des plaques tectoniques. Le Golf Drouot devient d’emblée le passage obligé, le tremplin d’où se feront ou non les carrières.
Six mille chanteurs et groupes sont passés sur cette scène entre toutes mythique qui tous participèrent à la légende du lieu. Et parmi eux des noms plus emblématiques que d’autres, des adolescents qui connurent ici leur première scène et devinrent les demi-dieux qu’on sait : Johnny Hallyday, Eddy Mitchell avec ou sans ses Chaussettes noires, Jacques Dutronc, Dick Rivers et ses Chats sauvages, Danny Logan et ses Pirates, Gene Vincent, Claude François…
Universal vient de sortir Golf Drouot, la compil officielle du temple du rock qui est tant un coffret de cinq cédés (115 titres pour autant d’artistes) qu’un livre-disques fait d’un ouvrage de 52 pages rédigé par l’ami Bertrand Dicale, des préfaces de Michel Jonasz, Alain Chamfort, Christian Decamps (Ange) et Patrick Eudeline, des photos inédites… Et un poster forcément collector.
A lister les 115 titres, c’est effectivement un grand pan de la musique hexagonale qui est ici, dans l’ordre d’arrivée en scène. Hallyday, Les Chaussettes noires et Long Chris en tête, et aussi Sheila, Les Lunettes noires (avec Albert Raisner), Nancy Holloway, Lucky Blondo, Vince Taylor, Sylvie Vartan, Petula Clark, Les Surfs… Puis, au fil du temps, Les Mustangs, Christophe, Polnareff, Nino Ferrer, Ronnie Bird, Michèle Torr, Valérie Lagrange, Les Charlots (même eux, qui l’eut cru?), Martin Circus, Ange, Magma, Demis Roussos, Wishbonne Ash, Daniel Balavoine, Trust, Bijou, Starshooter (Kent), Taï Phong (Goldman), Marquis de Sade (Obispo), Bill Baxter…
Ce coffret n’est – et c’est déjà son intérêt – qu’un grand et superbe générique, la play-liste forcément incomplète, partiale mais fidèle de vingt ans d’agitation qui bouleversèrent à tout jamais le monde musical, le monde de la chanson.
Si, par nature, NosEnchanteurs se sent plus proche des artistes qui se produisaient alors dans les cabarets de la Rive gauche, la naissance du rock et de ses avatars, le yéyé, la variété ne peuvent nous laisser de marbre. La chanson d’aujourd’hui, celle que nous chroniquons jour après jour sur ce site, est bien souvent le croisement de différents genres. Dont les origines se situent aussi sûrement à La Contrescarpe qu’au Golf Drouot. C’est dire si, dans ce riche coffret, il y a un peu de nos racines.
Golf Drouot, la compil officielle du temple du rock, Universal 2015.
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