Le nouveau disque à l’Al
On ne saurait concevoir un disque d’Al Delort sans son livret gorgé de (bonnes) paroles. Car même si ce nouvel album (le troisième, sept ans après Convoi exceptionnel) se singularise -nous y reviendrons- par un surcroît qualitatif quant à la musique, à l’orchestration et aux arrangements, les amis d’Al savent la richesse de ses textes, de ces vers qui y grouillent, se décomposent, se recomposent, aèrent et nourrissent l’humus de sa verve et de son verbe en de savants et enthousiasmants jeux de mots, de calembours improbables mais, par lui, probants.
De la part de quelqu’un qui a su, avec délicatesse certes mais uniquement avec des calembours faire la précédente fois une chanson sur la rafle du Vél d’hiv’, on ne peut que s’attendre au meilleur. Et ce disque, Nicotine, l’est effectivement encore. On ne se demande plus -d’ailleurs ça ne se demande pas- où Al va chercher de telles trouvailles (« [elle] défile dénudée », « elle aimerait danser la salsa / mais elle a peur de s’enlacer », « j’ai besoin d’une info man », « comment savoir à quelle heure y’avait pudeur », j’en passe et des meilleures encore), on se contente de les savourer pour les perles qu’elles sont. Il n’y a pas que les ostréiculteurs à en espérer : Al en fait élevage intensif, extensif, de ces perles de culture qui feraient la fortune des joailliers de la place Vendôme si la chanson était élevée comme il se doit parfois au rang de purs bijoux.
On aimerait que Nicotine fasse un tabac, bien sûr. Que sa fumée aille titiller le flair de tout bon amateur de chansons. Qu’Al s’échappe à son seul cercle de connaisseurs pour gagner un plus large auditoire.
Côté musique -on y revient- c’est bien plus musclé, rock, guitares, basses, claviers et batteries y vont de leurs partitions, rejoints ici et là par cuivres, violoncelle et violons. Accordéon et bandonéon aussi. Hier encore, seuls les mots avaient leur importance ; là c’est partagé, négocié, sans que jamais les uns ne bouffent les autres. Fasse que ça fasse pareil en scène et le concert sera des plus enviables, avec un p’tit côté Bashung ici très perceptible tant par les instruments que par les mots épais qui offrent pas mal de niveaux de lecture. Certains passages sont même dansants, comme Le Quotidien (« Elle aime le quotidien / Oui mais pas tous les jours ») qui n’a d’exotique que ses portées.
Longtemps guitariste d’Yves Jamait, Al est tombé dans la magie de l’écriture à l’occasion d’une des toutes premières rencontres d’Astaffort. Il a fait du chemin depuis, nous apparaissant comme une des plus solides plumes de la chanson. Mais pourquoi donc de prétendus auteurs-compositeurs-interprètes ne font-ils pas appel à lui au lieu de se satisfaire béatement de pauvres rimes qui leur vaudraient tout juste la moyenne à l’école primaire ?
Al Delort, Nicotine, CellulOïd/(rue Stendhal) 2015. La page facebook d’Al Delort, c’est ici.
« A coups de baramine le temps nous assassine », il y a le côté sombre de ces textes qui se répète tout au long de l’album, infiniment tendre cependant, avec cette compréhension de la vie, des femmes (belle analyse de nos contradictions dans Le quotidien), cette écriture inventive et poétique, et la musique riche qui va avec. Un album qu’il ne faut pas écouter distraitement, à lire aussi…