Catherine Ribeiro : retour aux années Alpes
Ça nous parle d’un temps que les plus jeunes ne peuvent pas connaître… A cette époque-là, Colette Magny, grande gueule et immense chanteuse, disait d’elle : « Dans la famille coup de poing, Ferré c’est le père, Ribeiro la fille, Lavilliers le fils. Et moi la mère ! »
Intéressons-nous à la fille, à l’occasion de la sortie d’un coffret inespéré rassemblant les neuf albums originaux de Catherine Ribeiro + Alpes, de 1969 à 1980. A savoir l’après 68, la décennie des années soixante-dix, où tout semblait possible. Où on faisait comme si tout l’était.
La jeune lyonnaise Catherine Ribeiro fait son entrée dans la chanson par la porte du yéyé (des créations ainsi que des adaptations de folk-song) au début des années soixante. Devenue aussi comédienne, c’est sur le tournage d’un western qu’elle croise le chemin d’un musicien, Patrice Moullet. C’est avec lui qu’elle revient à la chanson en 1969, après une longue éclipse, écœurée qu’elle est alors du showbiz, pour tout autre chose : un exercice hors norme, libre, fait de colère et de tendresse, de poésie, de rage de vivre. D’un rock allié à la symphonie, incantatoire et mystérieux, profond, presque insurrectionnel. Elle veut d’emblée signer son art d’un nom de groupe, qu’elle forme avec entre autres Patrice Moullet, mais son label refuse, d’où la première signature (le premier disque de ce coffret) : Catherine Ribeiro + 2 bis, qui bientôt cédera la pas à Catherine Ribeiro + Alpes. Alpes pour signifier les sommets que son art tutoie : « Pour admirer le sommet d’une montagne, il faut lever le regard, c’est solaire. »
Qui a connu Ribeiro + Alpes sait ce groupe sans équivalent, d’une liberté totale, tant qu’il en donnait le tournis ; qui l’a connue sait cette femme, toute en noir, ces cheveux qui presque lui masquent les yeux. Ce visage beau et résolu. Souvenez-vous de ces concerts-là, majestueux comme des messes laïques. Et elle, Ribeiro, grande prêtresse s’il en est, à la voix magnifique, assurément une des plus belles de la chanson française. Catherine Ribeiro + Alpes soulevèrent les foules, au nez et à la barbe du métier. Un métier qui ne leur fit aucun cadeau. Pour la punir d’un opus plus libre encore (Libertés ?, en 1975) on la change de label sans l’avertir : ce sera son plus grand succès ! La censure est générale en ce qui la concerne : malgré les foules qu’elle rassemble à ses concerts, elle est totalement boycottée par les médias audiovisuels, elle « cette sale rouge qui nous fait chier ». Mais la vague Ribeiro, insolente et belle, secoue le public de ces années-là.
« En rouge et noir, vigie scrupuleuse du sentiment amoureux et des passions politiques, Catherine Ribeiro, à chaque fois, y clame son refus de l’indifférence, de la solitude, de l’oppression, de la mort et la nécessité de vivre pour ses idées » (Yann Plougastel, extrait du livret de ce coffret).
On pourra prendre la sortie de ce coffret comme une forme d’ironie. Elle qu’on tenta en vain de dompter se voit longtemps après offrir ce coffret, certes rudimentaire, sans ses textes qu’elle aurait aimé voir y figurer, ravalé à un simple objet de consommation parmi d’autres. Mais dès qu’on met l’un de ces neuf disques sur la platine, on oublie ces réserves : c’est reparti pour le grand art, jamais égalé depuis, impressionnant vraiment. Juré que l’émotion est là…
A l’égérie pop-rock de l’époque Alpes succéda, on le sait, un exercice différent pour Catherine Ribeiro, devenue l’une de nos plus grandes interprètes du répertoire (Prévert, Piaf, Brel, Manset… Et bien sûr Ribeiro !).
Elle rallumera la flamme Catherine Ribeiro + Alpes dans les années 2000. Deux albums live l’attestent : l’un enregistré à Valenciennes en 2005, l’autre à Palaiseau en 2007, tous deux parus chez Nocturne.
Catherine Ribeiro + Alpes, Intégrale des albums originaux 1969-1980, Mercury/Universal 2015. Le blog de Catherine Ribeiro, c’est ici.
Extraits de films du concert de Catherine Ribeiro + Alpes à la Cathédrale de Bruxelles en 1972
Poème non épique N°3 Prélude (part 1), album « Liberté » 1975
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