Cyril Mokaiesh, Vivre comme un homme doit
Première de la tournée Naufragés, en ouverture de saison au Petit Duc, Aix-en-Provence, 3 octobre 2015
Accroché des deux mains au mât de son micro, des larmes aux yeux, les dents serrées, Cyril Mokaiesh résiste à la tourmente. Malgré son physique qui lui donne quelques avantages, on le devine inquiet, déchiré, doutant de lui-même et déterminé à tracer son destin tout à la fois. Giovanni Mirabissi, concentré, discret, comme enroulé à son piano, donne le ressac et les déferlantes en longues improvisations murmurées chantonnées, où Cyril fait une pose, l’accompagnant de sa gestuelle de boxeur qui se bat jusqu’au KO debout…
Dehors, les trombes d’eau aux conséquences dramatiques quelques encablures plus loin, se sont ici calmées, et le public a finalement pu rejoindre la salle sans naufrage.
Écoutez, vous ne m’écoutez pas : Cyril ouvre le concert et la partie est déjà gagnée. Il a choisi de présenter ces chansons avec la même progression que l’album, et c’est sa vision incarnée qui unit ces naufragés de la vie ou du succès.
Contrairement à ses précédents spectacles et albums, pas de dramatisation ni de voix forcée ici pour interpréter les plus lacérés de ces artistes, Mano Solo dans Les enfants rouges (« Je saigne toujours de ma bêtise / J’ai beau essorer mon âme / qu’il en coule toujours le jus de nos méprises ») ou Daniel Darc, chanté en confidence assis à côté du pianiste : « Dans un tel siège les anges ne risquent pas leurs ailes / Juste des idiots comme moi. » Il fait valser Léotard au poids de ses paresses (Poor lonesome piéton, en vidéo ci-dessous), vibrer Vissotski, l’apaise par moment pour nous arrêter sur cet idéal qu’est « vivre comme un homme droit ». Et l’incapacité de Vassiliu à faire ce qu’on attend de lui apparaît dans ce Parler aux anges, presque « crooné », et sa conclusion désabusée : « on s’en arrange. »
Est-ce parce qu’il nous a confié vivre la même situation que cette chanson, Nous (c’est nous) de Debronckart, nous émeut autant, avec son diaporama de menus souvenirs, ceux qui nous font tenir debout ? Est-ce la fin tragique de Stephan Reggiani, qui nous rend si sensible à son « J’aurais fait bonne figure » ?
Cadeau au cœur du concert : La rua Madureira de Nino Ferrer, autre incompris, connu pour les chansons qu’il aimait le moins. Les ovations d’un public conquis nous offrent en rappels Les gens qui doutent d’Anne Sylvestre, Je chante pour passer le temps d’Aragon-Ferré et un inédit de Mokaiesh, L’amour à l’imparfait.
Il nous avait déjà convaincus de sa sincérité, de sa fougue, des potentialités de sa voix, dont il jouait parfois avec un trop plein de passion. Son hommage sonne juste, nous émeut à cœur. Le voici enfin avec toute la maturité de ses émotions. N’est-ce pas Debronckart, un de ses auteurs, qui dit : « Pitié pour le chanteur qui vous livre sa vie. »
Le site de Cyril Mokaiesh, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
« Poor lonesome piéton » 2015 (Leotard, clip 2015)
« Plus rien ne va » (Vissotky, Session Figaro 2015)
« Parler aux anges »(Vassiliu, Session Figaro 2015)
Article mis à jour 17 décembre 2024
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