Fête de l’Huma 2015. Du PC, faisons table rase ! [3/3]
Par quel immense mystère nous a-t-il été donné d’émerger presque à temps de nos limbes nocturnes et catatoniques et de venir du camping en rampant dans la boue (ou presque) ? Une fois mes faibles forces reconstituées par la grâce d’un petit déjeuner un peu plus léger que la veille (espadon farci à la graisse de lama/cochon de lait à la cancoillotte/fondue bourguignonne, et une biscotte), c’est sans doute l’aura majestueuse de la longue dame en noir qui m’aura irrésistiblement attiré jusqu’à la Grande Scène en cette froide matinée blouvieuse.
Changement radical d’ambiance dans la prairie devenue marigot parigot, sur ce terrain détrempé par les assauts répétés des jours précédents. Pour qui aurait rêvé d’écouter la diva Gréco le cul dans l’herbe tendre, le choc est rude et le confort inversement proportionnel à l’hygrométrie ambiante… On pourrait, tiens, se désoler que les publics soient si différents selon les concerts et que celui de ce matin, visiblement descendu des cars après avoir confié le caniche à la voisine, ne soit visiblement venu que pour elle et pas pour découvrir Shaka Ponk ou Manu Chao. La remarque vaut bien évidemment pour les teufeurs et autres punks à chiens qui sont en train de cuver sous leur tente ou au creux d’un talus quelconque, au lieu de vivre les instants extraordinaires qui s’inscrivent sous nos yeux et dans nos oreilles ravies. Cette segmentation me désolerait presque, tiens, si j’avais le dixième de la sensibilité des caniches susnommés… Bon, je l’avoue humblement et respectueusement (si, si) : j’avais un peu la crainte de ne voir sur scène, au mieux, que le fantôme de Juliette Gréco. Homme de peu de foi, mécréant, vilain bougre que j’étais donc. Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa ! La voix est là, bien là, et Gréco nous montre la voie, belle, droite, radieuse et irradiante. Gréco sage et sauvage, lumineuse en sa sensualité sans âge. Phrase captée au hasard d’une rencontre : « Je suis à la Grande scène, ma mère m’a demandé de prendre Gréco en photo… » Pourquoi pas en peinture aussi, tant qu’on y est ! (même si on est en droit de préférer Le Gréco à Goya, Chantal…) On ne prend pas Gréco, on la reçoit, on s’en éprend ! Accompagnée sobrement d’un accordéon et d’un piano (l’inamovible Gérard Jouannest), elle enchaîne gaillardement les titres immortels, à tel point que l’on se surprend à chaque fois à se dire « Ah oui, c’est vrai, celui-là aussi.. ! » Jugez-en : Sous le ciel de Paris, Jolie Môme, Déshabillez-moi, Le temps des cerises, J’arrive, Bruxelles, Avec le temps… Et puis, in fine, une Javanaise d’anthologie, reprise par toute la foule galvanisée, les poils au garde-à-vous sur les avant-bras… S’ensuivent de longs et beaux saluts très émouvants, marquant un des derniers concerts de cette dernière tournée sobrement intitulée « Merci ». De rien, c’est nous, Madame…
Hein, quoi ? Comment ? « Blouvieuse » ? Ah, vous en êtes encore là ? Boueuse et pluvieuse à la fois, c’est pas compliqué, si ? Et d’abord, je dis qu’est ce que je veux, na !
C’est sur la scène Zebrock que nous retrouvons ensuite, dans un tout autre genre, les joyeux zigotos de Lénine Renaud, à ne pas confondre avec Soviet Suprem… Un univers poétique et réaliste, mené de main de maitres par Cyril Delmote (ex-VRP) et Franck Vandecasteele (ex-Marcel et son Orchestre) dont les voix un peu voilées se marient à merveille. Nous tenons là deux spécialistes de la déconne qui touchent ici, avec leurs comparses (guitares/ accordéon/contrebasse) à des contrées où la tendresse sait affleurer avec plus de complicité. Les garçons ont joué le jeu de la scène Zebrock et arborent (abhorrent.. ?) de somptueuses chemises zébrées noires et blanches…
Tout cela est ma foi des plus sympathiques, mais déjà nos pas nous entrainent vers la P’tite Scène ou se produit l’inénarrable Frédéric Fromet, un olibrius des plus sympathiques sous sa dégaine musculeuse de lutteur de foire sous stéroïdes. Nan, j’déconne ! Aussi teigneux que malingre, aussi talentueux que cachectique, c’est avec délectation que nous laissons nos amis découvrir ce moderne Don Quichotte pourfendant avec humour noir les moulins à vent de la connerie humaine. Un titre introductif pour évacuer les moqueries sur sa voix de fausset, un autre pour faire son coming-out (Je l’avoue, je suis de droite…), un autre encore, gonflé, pour se mettre à dos tous ces pédés de la CGT et les titres s’enquillent sans nous laisser respirer, tirant à boulets rouges avec une grande intelligence sur les bobos parisiens, les joggeurs en fluo, les geeks, les fumeurs de chichon ou les footballeurs (bien fait pour eux !). Sur un air de reggae, une chanson en particulier ferait le bonheur des libraires et bibliothécaires : « Au lieu de prendre un joint / Posez les yeux sur un bouquin / Les gars lisez, les gars lisez, les gars lisez ! » Après un duo particulièrement réussi avec Frédo des Ogres de Barback venu faire un petit coucou, voici, par la grâce d’une mimique et d’un haussement d’épaule un certain ex-gnome élyséen qui s’invite sur scène : « Vous en avez marre de la chanson à texte ? Eh bien on va vous en débarrasser ! » Et comme le bonhomme ne recule décidément devant rien, il rend façon Roch Voisine son hommage très particulier au petit Aylan : « Seul sur le sable, les yeux dans l’eau, mon rêve était trop beau… » Petit flottement dans l’assistance. Frédéric Fromet, l’homme que vous adorerez haïr, semble assez content de son coup, il peut… Et puis, après avoir rappelé plus sérieusement les menaces de mort dont il fait l’objet de la part d’extrémistes divers, il nous gratifie de Coulibaly Coulibalo, les attentats expliqués aux enfants, le titre qu’il avait interprété sur l’antenne de France Inter au lendemain de la tuerie de Charlie-Hebdo. Un grand moment. Vraiment.
Cette P’tite Scène est décidément accueillante aux talents iconoclastes, puisque ce sont enfin Les Hurlements d’Léo qui s’en viennent faire sa fête à ce cher Mano Solo, bien trop tôt disparu… Et pour ce tout dernier concert de la Fête (guitares électriques/batterie/trombone/trompette/sax baryton), nous avons droit à une apothéose d’émotion et d’énergie. Rejoints sur scène par quelques invités de choix (Fredo des Ogres, à nouveau, Napo Romero le guitariste des Frères Misère, des membres de la Cafetera Roja ou des Sales Majestés…), ils nous entrainent dans un ébouriffant pogo final bien bourrin dont votre serviteur eu bien de la chance de sortir à peu près entier… Au loin (ais-je été le seul à le relever ?), dans une troué entre deux chapiteaux blancs sont affichés les portraits des victimes de Charlie. Et Cabu un sourire en coin qui, sous sa frange malicieuse de vieux petit garçon, suit de ses yeux pétillants ce bel hommage à son Mano Solo… Même si la barre est dure, même si la vie, c’est pas du gâteau, et qu’on fera pas d’vieux os, vieux keupons ou pas, tous sont là et l’émotion aussi, une émotion à fleur de peau, à fleur de mots, à fleur de Mano…
A l’heure de plier et les gaules et la tente, un seul regret en quittant le parc de la Courneuve (à part le deuil d’une paire de Doc Martins définitivement ruinées par la boue…) : le nombre impressionnant de concerts auxquels nous avons du renoncer faute d’un emploi du temps compatible : la famille Chedid, les Innocents, Clarys, Robi, Johnny Montreuil, Hippocampe fou, les Zoufris Maracas ou Mirabassi/ Mokaiesh.
Et cette interrogation métaphysique lancinante de savoir si oui ou non, nous allons bien vers des lendemains qui chantent.
Mais demain est un autre jour…
Le premier volet de ce reportage, c’est ici ; le second, c’est là.
Rétrolien Fête de l’Huma 2015. De boue, les damnés de la Terre ! [2/3] | NosEnchanteurs
Rétrolien Fête de l’Huma 2015. C’est le luth final ! [1/3] | NosEnchanteurs
Juliette Gréco, à la fête de l’Huma, et à 58 euros à Limoges …
Merci et bravo Patrick pour ces échos . Et les lendemains qui chantent n’arriveront qu’après le grand soir, mais c’est pas encore demain la veille !