Évasion hors modes, hormones

Évasion (photo Géraldine Maurin)

Encore une fois il sera ici question de reprises. Non de Brassens, de Ferré ou de Ferrat, non de Renaud… Une autre lame de fond, aussi puissante que discrète, traverse la chanson, l’irrigue, la nourrit, la stimule depuis bien longtemps. La lame, la dame est Anne Sylvestre. De plus en plus d’artistes (Jorane, Les Trois becs, Nathalie Miravette, Ben Mazué, Les fils de ta mère, Géraldine Torrès, Guilam, Liz Cherhal, Robinsonne, Agnès Bihl, Vincent Delerm, etc) la reprennent en leurs répertoires respectifs. Mais, mis à part les Fabulettes par Jacques Haurogné, on ne savait pas encore de disques lui étant entièrement consacré.

On connaît Évasion, ces cinq jeunes filles devenues femmes, de Romans-la-Monnaie, qui ont longtemps (leur premier album remonte à 1993) chanté dans toutes ou presque les langues du Monde (bien plus d’une vingtaine en tout cas) tel un espéranto de la Liberté, de l’Égalité, de la Fraternité. Et du Féminisme, non que leur répertoire ne soit fait que de ça, mais le simple fait de chanter, d’oser prendre la parole, d’énoncer quelques bonnes vérités aux z’hommes (ceux pour qui « pisser debout ça les rassure » chanterait Tachan) c’est quand même dire ce qu’on est, s’opposer aux mâles dominants, au moins leur tenir tête. Gwénaëlle, Soraya, Anne-Marie, Talia et Laurence sont féministes, femmes engagées. Cachées derrière d’autres langues, nous le devinions sans trop le savoir. Depuis qu’elles chantent en français dans le texte, il faudrait être sourd pour ne point l’entendre.

Et les savoir reprendre Anne Sylvestre n’est, à y penser, même pas surprenant tellement c’est l’évidence. La franchise et l’humour, le bon sens, la rime parfois assassine, les valeurs sont partagées. Si elles ne sont pas les seules à s’inscrire dans la veine d’Anne Sylvestre, a en partager l’adn, les neurones et les hormones, elles sont les premières à consigner cet héritage sur tout un disque. Il m’est avis qu’elles ne seront pas les seules.

Ce n’est pas tout à fait Sylvestre en polyphonie, bien que, mais cinq voix qui s’en emparent, a capella. C’est fou ce que, privées de musique, les rimes féminines d’Anne Sylvestre suintent tout autant de musicalité, vivent en harmonie, en superbes mélodies. Écoutez Une sorcière comme les autres par Évasion et vous en serez définitivement convaincus.

Pour les amateurs, le choix d’Évasion nous amène des titres plus en vue (Ça n’se voit pas du tout, Berceuse de Bagdad, Langue de pute – là, les cinq femmes y ajoutent un chapitre les concernant -, Le lac Saint-Sébastien, Écrire pour ne pas mourir…) et d’autres, non oubliés, mais lointains (Parti partout, La vaisselle… Et ces Coïncidences sur les maladies professionnelles que la médecine et le pouvoir taisent… exemplaire !). Pour les autres, qui ne savent rien d’Anne Sylvestre, ce pourrait être agréable découverte (il n’est jamais trop tard). La biographie récente d’un confrère titrait Et elle chante encore ? Oui, elle chante encore. Mieux, à présent elle se démultiplie. Parce que rarement une chanson telle que la sienne ne fut si pertinente, si actuelle. Rarement chanson n’a autant honoré l’idée de la Chanson, celle qui ne chante pas que pour passer le temps.

Ce disque, ce spectacle (c’en est un, aussi, que NosEnchanteurs vous a récemment relaté) d’Évasion est bien plus qu’un cadeau qu’elles se font, qu’elles nous font, qu’elle font à Anne, notre sœur Anne. C’est une totale réussite !

Évasion, Les hormones Simone, Vocal26/L’Autre distribution 2015. Le site d’Évasion, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de ces cinq dames, c’est là. En concert le lundi 21 septembre 2015 à 20 h au Vingtième Théâtre à Paris (réservations au 01.48.65.97.90  et autres points de vente habituels).