Kent : l’indispensable intégrale discographique
Rien ne remplacera la scène et c’est particulièrement vrai en ce qui concerne Kent. Quelle que soit la veine qu’il explore alors, l’homme est entier qui toujours donne le meilleur de lui. Par défaut et au quotidien, il nous reste ses disques qui tous s’aventurent en des pistes différentes, quittent le rock de ses débuts puis y reviennent, explorent d’autres possibles, insaisissable qu’il est, toujours à être là où on ne l’attend pas, iconoclaste, inclassable. La chanson n’est déjà pas, on le sait, sa seule forme d’expression. Bien avant sa première guitare, il dessinait déjà dans les marges des cahiers ses premières bédés. Il sera dessinateur et publiera ses premières planches sous le nom de Kent Cokenstock. Il sera et est romancier aussi. Présentement, c’est le chanteur qui nous intéresse avec la parution d’un coffret regroupant l’intégrale de ses treize albums originaux (et, pour faire bon poids bonne mesure, un quatorzième, Démos et merveilles, fait de raretés, d’inédits, sachant que douze des treize précédents albums de ce coffret en offrent déjà sous forme de bonus). D’Amours propres (1982) à Le temps des âmes (2013), c’est tout le parcours de Kent revisité avec, pour utile guide sur le livret, Pierre Mikaïloff qui nous resitue à grands traits chaque album dans le temps.
C’est bien le chanteur Kent qui loge dans ce coffret, non celui de Starshooter, dont Pas fatigué, l’ultime album était sorti en 1981. Une pause aux allures d’éternité qui fera rapidement naître le premier album solo de Kent et la carrière que l’on sait. Carrière en dents de si, faites de certitudes autant que de doutes, d’engouements publics et d’injustes oublis, d’un artiste d’autant plus intéressant qu’il oscille entre différents publics de la chanson et du rock, sans niche particulière sauf à les avoir toutes. Au risque de toutes les incompréhensions possibles.
Ce coffret, qui plus est à prix économique, nous est utile à plus d’un titre : tenter de cerner Kent dans la globalité de son œuvre (240 chansons dont 60 rares ou inédites) autant que dans la particularité de chaque album, de ses richesses mélodiques, de ses vers qui dévoilent avec pudeur le bel humain qu’il est, les constants aller-retours de cet ex-punk dans des contrées musicales en apparence éloignées, lui qui a toujours contribué à casser les frontières artificielles et stupides des chapelles.
Ne manque à cet indispensable coffret que les enregistrements publics dont ce Enfin seuls de 1999 partagé avec cet autre quelqu’un de bien qu’est Enzo Enzo. Y Manque aussi – on ne peut tout avoir à si bas prix – les textes des chansons que, sagement, on ira chercher ailleurs.
En possible complément de ce coffret, rayon librairie cette fois, Kent est aussi présent. Non pour un nouveau roman, mais un livre, Dans la tête d’un chanteur, où il tente de livrer son propre mystère de la création, ses clefs à lui, tout un trousseau. Avec plein de souvenirs, d’utiles conseils lui ayant été prodigués, de moins bons aussi. Il nous parle également, jolis regards, de chansons d’autres de ses collègues. Quinze chapitres argumentés, documentés, où il détaille ce qu’il y a dans un chanteur, dans une chanson : « Comment écrit-on une chanson ? », « L’inspiration », « Les paroles de chansons », etc. Et comme on n’est jamais mieux illustré que par soi-même, c’est lui qui en dessine les têtes de chapitres.
Kent, Intégrale des albums studio 1982-2013, Universal/Capitol 2015 (prix indicatif 32€) ; Dans la tête d’un chanteur, 224 p. 14€, Castor music 2015. Le site de Kent, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit de lui, c’est là.
J’ai connu Starshooter avec mes ados, et ensuite Kent tout seul, il a réuni des générations autour de lui, et il le dit très bien lui-même dans son journal : « Je suis un artiste indiscipliné dans sa discipline. Vous et moi, il faut faire avec. La monotonie peut aller se rhabiller. » . Donc , on fait avec, avec plaisir, et en famille .