Pourchères 2015. Remettons-nous du bleu aux phares
« Je suis un camion dans la nuit / Les feux bloqués sur l’inconnu… »
Deuxième volet de l’autobiographie de notre amazone lyonnaise. On peut la lire, c’est un livre. On peut l’écouter, c’est un disque. Et la voir, sur scène, c’est un spectacle. Où elle y sème, parsème sa zone, cultivant l’émotion dont nous faisons ample moisson. Claudine Lebègue s’y raconte sans fard, mais pleins feux, sans détours : « Remettons du bleu aux phares. » Le premier A ma zone évoquait l’enfance, l’adolescence dans la cité HLM toute belle, toute neuve, solidaire. Là c’est l’envol, le départ, les valises, qu’on retrouve ou non sur le tapis à l’aéroport : « Y’a des valises qu’en reviennent pas / Tell’ment c’est loin tell’ment tout ça… » Le hasard, la chance ou pas. Aléas, allez où ? « Au bon moment / Au bon endroit / On se retrouvera. »
Ce sont les souvenirs de Lebègue, qui taille la route. Ses souvenirs et, le croirez-vous, un peu beaucoup des nôtres. En convoquant le passé, elle convoque le nôtre, fait rompre nos digues. Sa voix, ferme et drôle, ses mots, qui ont la douceur de caresses… tout est saisissant, qui vous prend au plus profond de vous, vous ramène en des contrées oubliées, des jardins secrets et des amours précis, de vieux terrains vagues qui se précisent en vous.
Sur sa route, il y a l’amour : ses vers baignent dedans. En des mots qui semblent n’avoir jamais été dits, frais et onctueux, désirables, oh… « J’voudrais rev’nir dans ton ruisseau / Faire avec toi le partage des eaux / Oh mon amour. » La voix est rugueuse, rocailleuse ; les mots sont dentelles de rosée. Des doutes et des craintes (« Est c’que l’amour est éternel / Et si l’amour s’faisait la belle… »), des hésitations, des résolutions… Et ce camion qui toujours roule en des routes qui tiennent aux chemins de traverse. Nous sommes tous bouleversés par cette dame en tous points géante (et ce ne sont pas ses semelles compensées qui la rendent grande), à n’en pas perdre un vers, un son. Captivés, en haleine, rivés à cette dame qui en est magnifique, belle comme un camion.
Ses musicos, Michel Taïeb à la guitare et Alexandre Leitao à l’accordéon, sont ses serviteurs, humbles et tout aussi talentueux qu’elle. Scansions, tensions, tout participe au déroulé, à la dramaturgie, à la beauté de ce récital en tous points passionnant, dans l’intime d’un chanteuse bouleversante, lancée à toute vitesse, le pied sur l’accélérateur, les feux braqués sur l’inconnu. Une heure et demie de pure griserie : il serait temps qu’on sache le talent de cette gouailleuse des temps modernes. On la quitte avec sur soi un peu de l’odeur de diesel, de pneus brûlés sur l’asphalte et d’amour physique.
Le site de Claudine Lebègue c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là.
J’ai lu Claudine Lebègue, j’ai écouté Claudine Lebègue, je n’ai pas encore eu la chance de la voir sur scène, mais je sais que « Au bon moment / Au bon endroit / On se retrouvera. »