Cabaret All’ Arrabbiata : voir rouge et rire jaune
1er juillet 2015, Renata Antonante (voix), Pablo Seban (voix), Lucas Lemauff (piano, voix) et Olivier Marchepoil (mise en scène), textes de Ascanio Celestini. Café culturel « Chez ta Mère », Toulouse),
Lucas Lemauff se met au piano. Costume sage, chemise blanche. Sage aussi la coupe de cheveux, oreilles bien dégagées. On pense aussitôt à son personnage dans Virage à droite, spectacle initié par l’insolent Nicolas Bacchus.
Sur ses notes enlevées, entre Renata, tenue très sobre elle aussi, pour chanter l’une de ces chansons italiennes populaires et combattantes qui émaillent le spectacle. Chansons de lutte où parfois même on meurt.
Elle enchaîne, s’adressant au public : « Je suis comme vous, je suis de gauche. » Inutile de commencer à vous installer sereinement dans votre fauteuil ! Elle continue tout aussitôt, « je suis comme vous je suis de droite »… ou « je suis comme vous, je suis raciste… pédophile… gérontophile… » Et quand, dans la bouche des trois zoziaux, se déroule le récit des pauvres vendant leur faim mise en bouteilles aux riches, puis leur soif, leur rage, enfin tout, leur conscience, la littérature, la musique… on a saisi que les textes de Ascanio Celestini, chroniques télévisuelles au départ, sont « décapants et décapitants ». On emprunte volontiers ces deux adjectifs à la quatrième de couverture de Textes et chansons de Boris Vian (Collection 10×18) auquel ce registre nous fait aussitôt penser. On pense aussi tout naturellement aux textes de Dario Fo et Franca Rame, en ces temps de combat qui avaient porté le théâtre, le teatro di narrazione (théâtre-récit), la parole révoltée partout. Les textes satiriques, nourris, entretenus par une actualité toujours avide d’injustices, abondent en Italie depuis Plaute dans l’Antiquité (largement inspiré du grec Aristophane dont la relecture pourrait être salutaire aussi dans ce même registre !) ou la commedia dell’arte qui permet, sous le demi-masque, de s’affranchir de toutes les bienséances.
Ce cabaret All’Arrabbiata, cette sauce savamment épicée, se situe dans cette tradition : insolent, féroce aux imbéciles, aux nantis, certes, mais surtout à chacun de nous si l’on veut bien y regarder de près. C’est effrayant, révoltant, cynique, scandaleux… et bénéfique. Le spectacle exorcise nos plus tristes penchants. C’est là l’une de ses fonctions les plus nobles.
Alors, vous ne manquerez sûrement pas d’aller vous confronter très vite à ces textes délirants. Écoutez le récit de la fille (interprétée par Pablo, quelle belle idée !) à qui l’on touche les fesses dans le bus. Écoutez l’argumentation de Renata qui a fait de la merde son produit AOC, retenez son slogan « Le futur est une merde et nous le construisons pour vous ! » Écoutez Lucas défendre jalousement l’usage exclusif de son parapluie, sa vérité : « Le monde ne change pas, seule ta place dans le monde change. » Et cet appel au grand « parapuiseur » pour qu’il remplace les parapluies par des fusils. Écoutez son discours d’homme politique (efficacité redoutable du « concombre dans le maraîcher » ! Comprend qui veut !). Écoutez Pablo tentant de remédier au robinet qui goutte et voit défiler l’argumentaire de l’homme de droite, de gauche, de gauche de la gauche, du syndicaliste, et qui, faute d’un consensus, cesse d’y penser et se noie sereinement.
Pour en terminer avec cet appel au malséant, inconvenant, incorrect, rendons hommage au café associatif Chez ta mère, qui a le premier programmé à l’automne dernier ce trio sans en rien savoir vraiment. Qu’il soit félicité ici de son soutien à la création !
La triste réalité cuisinée à la sauce piquante , » voir rouge et rire jaune », tout est dit .