Paroles et Musiques 2015. Le village enchanté
par Jeanne Lemann,
Tachka, La Chorale à musiques, Cabadzi, 13 juin 2015, festival Paroles et Musiques à Saint-Étienne,
Le village Paroles et Musiques se réveille en ce début de dernier après-midi festivalier un peu hébété par les torrents d’eau déversés pendant la nuit sur la ville. Les yeux et les oreilles sont lavés mais encore peu nombreux à 14h lorsque la scène en plein air s’anime du trio Tachka : Natacha Jomain (textes et musiques, chant, piano et guitare), Agnès Ino (clarinettes) et Romain Stochl (contrebasse). C’est la deuxième prestation en public pour ce groupe lyonnais qu’on sent jeune d’expérience scénique, certes, mais qui au fil du set va attirer et conquérir petit à petit le public présent, un peu étonné lui-même de cette rencontre, mais tellement, tellement charmé.
Il faut dire que Tachka ne fait ni dans la facilité, ni dans l’attendu : musique exigeante mais chatoyante, savante mais sans frime, servie en beauté et précision par le timbre de Natacha – quelque part entre Kate Bush et Alanis Morissette – que les clarinettes d’Agnès viennent frôler, enveloppantes, envoutantes. Pour qui apprécie le frissonnement des dissonances, des accords suspendus et des couleurs mêlées, l’équilibre du trio est parfait, tout en subtilité, avec la contrebasse de Romain – impeccable lui aussi – en contrepoint.
Tachka chante – en anglais – les Indiens dansant comme des furies ; les opéras silencieux ; le chant des saisons ; d’étranges pâtisseries ; la Terre-mère… « On ne comprend pas forcément tout mais on s’en fout, c’est tellement beau » me souffle mon voisin. C’est vrai, et il nous prend l’envie de donner rendez-vous à ces trois-là dans quelques scènes, les découvrant ici déjà plus que prometteurs.
Après huit mois de préparation sur des titres d’artistes de la programmation (Dominique A, Faada Freddy, Mina Tindle ou encore Dick Annegarn, harmonisés par Simon Chomel), voilà que déboule en second plateau la « Chorale à musique », menée du bout du petit doigt par la bondissante Aurélie Pirrera, tout sourire pour ses choristes comme lorsqu’il s’agit d’initier le public à des accompagnements rythmiques corporels. Le chœur est composé d’une quarantaine de chanteurs, si heureux d’être là, si communicatifs dans leur joie de partager qu’on se laisse vite, très vite, embarquer, sous un soleil qui a l’air d’avoir décidé de se pencher – enfin ! – durablement sur le Village. Polyphonies futées, percussions martelées sur le corps ou émanant d’un sac plastique (mais oui, bien placé devant le micro et habillement manié, ça marche !), duos ou solos soutenus par chœur et accompagnés d’une simple guitare, sans esbroufe aucune mais avec cœur, n’est-on pas là en train de vivre là un moment privilégié du festival, chanteurs et public en miroir l’un de l’autre ? Jusqu’à ce que, pour conclure, Aurélie demande aux choristes de se mêler au public pour un massage sonore à trois voix à vous flanquer des frissons. L’occasion de se rappeler à quel point la chanson est faite pour être partagée aussi de cette façon quasi organique, dans le mouvement des corps et l’échange, au plus près des voix.
« Normalement on vous montre pas ça, hein, c’est secret ! » lance au public Lulu, auteur-chanteur-leader de Cabadzi qui doit faire sa balance sous nos yeux avant de se lancer, « pour de vrai » cette fois dans un set au scalpel, éblouissant, sans concession. Disons-le tout de suite, avec ces cinq-là on en prend plein la gueule. Titre après titre, c’est toute la médiocrité ambiante qui est passée à tabac par les textes extrêmement directs : « Regarde-les / Devant leurs écrans / Ils sont comme ces nuées de / Papillons blancs / Que l’ampoule envoûte / Et les morts télévisés / Deviennent aussi insignifiants / Que des publicités / Regarde les bien / Qu’ils baisent / Qu’ils bossent / Qu’ils mangent / Qu’ils marchent / Ils dorment… » Vous en voulez davantage ? Allez voir Cabadzi ! Allez boire jusqu’à la lie ces torrents de lucidité amère et sans détours, joués façon rap acoustique et raffiné, douces violences portées par les guitare, basse, violoncelle et alto, sur des rythmiques d’un beat-boxer de talent (son solo final a soulevé le public). D’ailleurs tout le groupe en a, du talent, de l’inventivité, du son, et aussi cette sorte de tranquillité qui lui fait asséner encore davantage ses quatre vérités. Plein la gueule, oui, vraiment, et d’un bout à l’autre… Mais lorsque s’éteint la dernière note, jouée en acoustique élégance parmi nous au pied de la scène, on en redemande de ces mots, qu’on sait sans se les dire. Oui, qu’on sait parfaitement, sans les dire ni les écrire pourtant. Parce qu’il sont notre monde, et comment le – se – regarder en face ?
À noter, pour conclure, l’excellence de la sonorisation de ce plateau extérieur (et gratuit). À aucun moment écrasée sous les décibels, la compression, les fréquences criardes, je réalise que mon plaisir n’en a été que plus grand, qu’aucun mot, qu’aucune note, qu’aucune saveur de cet après-midi n’ont été perdus. Un beau cadeau offert à ces découvertes par un ingé-son anonyme. Je ne sais s’il recevra la gratitude de ces groupes, mais la mienne lui est acquise : merci Monsieur, et bravo pour la belle ouvrage.
La page facebook de Tachka, c’est ici ; le site de Cabadzi, c’est là.
Oui, moi aussi Tachka me fait penser à Kate Bush ! Et pour les techniciens, ils m’épatent souvent, à travailler dans l’ombre et sans la gloire, mais ils contribuent vraiment au succès du spectacle. Le son, la lumière…
Des découvertes pour moi, mais cet article, et ces deux vidéos donne furieusement envie de les voir sur scène ! merci Jeanne !
Jeanne, revenez quand vous voulez écrire pour NosEnchanteurs… Un vrai bonheur cette chronique du jour qui tempère l’effet délétère du triste colportage de nouvelles autour d’une chanteur qui lutte…
Tachka, des petits nouveaux, une chorale inspirée, Cabadzi et ses chansons coups de poing…bref, on en redemande de cette chanson qui vit ! Claude, de l’équipe des chroniqueurs
Merci également, Jeanne, pour ces beaux moments de partage…