Aznavour, regard sur le passé, superbe album
Quarante-sixième album pour Charles Aznavour qui, du haut de ses 91 printemps, observe ses années passées, Avec un brin de nostalgie, à « laisse[r] courir mes pensées / embuées de mélancolie / pour voyager dans mon passé. »
C’est un disque marqué du sceau de la nostalgie, de cette mélancolie qui fait son cinéma. D’où surgissent, en noir et blanc, en sépia, parfois colorisés, des anecdotes, des histoires, des personnages. Et lui, gamin, à tirer les sonnettes, à chaparder des pommes à l’étal de l’épicier. Ou « à seize ans et demi / jouant crânement les tombeurs. » Bien plus qu’un énième opus du grand de la Chanson qu’il est, c’est une somme de récits, collecte d’émotions. C’est, disons-le, un grand album, comme Aznavour ne nous avait pas livré depuis longtemps. Un album qui s’écoute différemment peut-être, où même si la mémoire lui joue des tours l’autobiographie est évidente, où pointent les regrets. Ceux du chanteur et, par anticipation, déjà les nôtres.
Si le bonheur décline, il se vit bien au passé composé, à deux : « t’aimer ce sont aussi / c’est mon corps et ton corps / sous le ciel de ton lit / et ces mots murmurés / que le bonheur sublime / faisant de moi le dieu puissant de tes nuits. » A trois disait Brel (« il y a toi, y’a l’amour et y’a moi »). Car l’amour toujours prédomine : T’aimer, Mon amour je te porte en moi… Et Des ténèbres à la lumière où Aznavour ferme les yeux et chante l’amour, le sentiment et la chair, entre non-voyants : « je te connais du bout des doigts » sans jeu de mots c’est touchant (on pense alors à Mon émouvant amour, c’était là un muet). Que dire de ce « j’aime l’odeur de tes aisselles » qui sent le vrai et n’est pas sans rappeler cette même idée jadis développée par le belge Arno dans le filial amour de Dans les yeux de ma mère…
Souvenirs, donc. Les siens, d’autres qui s’agrègent aux siens. Et parmi eux celui d’Édith Piaf, dont Aznavour fut longtemps un des proches sans jamais en être l’amant : c’est la première fois qu’il évoque en chanson cette dame, « un timbre clair une voix tendre, /cri d’amour et de désespoir », qui a tenu tant de place. Ce Sonnez les cloches en mode gospel qui, à différents âges, de celles joyeuses du baptêmes aux autres sombres du tocsin, rythment notre vie. Ou encore ce Chez Fanny, sous l’occupation, résistance et dénonciation, histoire à la fois belle car amoureuse, car courageuse, et tragique.
La musique est sans âge ou plutôt elle est fidèle à l’idée que nous nous faisons, rétrospectivement, de l’ensemble de la production d’Aznavour, sans surprise, mais dans une modestie que notre grand Charles n’a pas toujours eu. La voix accuse certes l’usure du temps, juste un voile, mais est encore belle, apte à suivre les pleins et les déliés de l’émotion.
Un seul bémol à ce disque qui a sa place dans toutes les (très) bonnes discothèques perso, le dernier titre, You’ve got to learn, en duo avec Benjamin Clémentine, reprise en anglais d’Il faut savoir : c’est raté, limite faux, en tout cas d’une voix (d’Aznavour) approximative, les deux ne s’accordant pas. Qu’importe, ce n’est pas suffisant pour gâcher l’impression d’ensemble : ce disque, intime, émouvant, est tout simplement un régal.
Charles Aznavour, Encores, Barclay/Universal 201. Le site d’Aznavour, c’est ici.
Je me demandais si un article sur Charles Aznavour était possible sur NosEnchanteurs, si, parce que trop « grand public », vous oseriez le traiter un jour. C’est chose faite par cette très belle chronique. Maintenant que je dis ça, il me fait écouter cet album qui vous semble émouvant : ça donne envie.
Il y a Nos Enchanteurs pour la découverte de nouveaux artistes, pour parler de ceux qui ne font pas la une des radios et des télés , et qui sont pourtant bourrés de talent, et puis il y a les chanteurs comme Aznavour qui ont jalonné nos vies par leur longue carrière , de chansons qui trottent dans la tête, comme autant de balises de souvenirs , de scènes de vie, Aznavour, c’est nos amours, nos amis, nos emmerdes en chansons for ever .
Et Nos Enchanteurs sont là aussi pour parler des nouveaux albums qui surprennent, dont ce dernier d’Aznavour , qui est superbe en effet . Et être surpris par un jeune homme de 92 ans, ça mérite le respect !
J’ai découvert il y a peu de temps, la chanson « Parce que », depuis je l’écoute sans me lasser,elle est très bien interprétée aussi par Patachou et Serge Gainsbourg…
Je croyais tous connaître d’Aznavour, mais c’est un peu prétentieux, quand on sait tout ce qu’il a écrit et composé pour lui et pour d’autres.
Que de souvenirs, et d’émotions avec ses chansons!
Merci pour ce bel article, pour un fabuleux Artiste!