Festival Dimey 2015 : Anne Baquet, les feux et leurs artifices
Présenter dans un festival de chanson une prestation intitulée Non je ne veux pas chanter pourrait paraître étonnant. Mais le public qui a rempli la salle ne s’est pas arrêté à ce paradoxe et s’en félicite, car il a eu droit à une soirée jubilatoire. Lorsque d’aucuns tirent la chanson à texte vers le texte, Anne Baquet et son super-pianiste Grégoire Baumberger en explorent le côté musical et vocal, auquel ils ajoutent l’humour et la virtuosité. Dès l’entrée spectaculaire de la chanteuse et de son accompagnateur, la mise en scène resplendit en même temps que la musique et que sa superbe voix de soprano ; on est projeté dans l’ambiance du lyrique avec ses artifices et ses beautés : la « robe » démesurément longue, les gestes amples et la saisie des mots aléatoire surtout quand c’est de l’Alexandre Pouchkine dans le texte ! Et puis le spectacle fait honneur au français avec des chansons sur mesure (ou presque) signées Marie-Paule Belle, Isabelle Mayereau, François Morel, Jean-Jacques Sempé, Roland Topor, Georges Moustaki ou Juliette Nourredine sur des musiques originales ou illustres de Rossini, Chopin, Bernstein voire François Rauber ou Claude Bolling – on ne peut tous les citer. Si le festival Dimey s’attache à mettre en valeur la chanson de qualité, Anne Baquet est bien à sa place. Et on assiste à une succession de tableaux tous plus désopilants et inattendus les uns que les autres, portraits de famille, maris enterrés sous les rosiers, amant en retard de quinze ans car peu ponctuel, artiste nue dans sa baignoire-sabot ou oie blanche obligée de chanter sans talent… on ne peut tout raconter. Chacun est un petit sketch avec une mise en scène au cordeau exploitant les moyens d’Anne qui sait tout faire avec talent : se servir de tous les registres de sa voix, chanter faux, danser, jouer, mimer, accompagner au piano son musicien qui chante ou faire du piano à quatre mains. Et chaque détail de présentation est soigné jusqu’à l’épure, jusqu’à la limite au-delà de laquelle on sombrerait dans la faiblesse de l’excès. Parfois, une interprétation plus sobre fait aussi jaillir une émotion bienvenue. Dans une élégance raffinée, ce spectacle est désopilant de bout en bout. Les rires et les applaudissements d’admiration ne trompent pas : les spectateurs sont éblouis et ravis.
Au-delà de ce plaisir intense peut se profiler une autre dimension. À de très nombreux moments, le rire est déclenché par les pastiches, voire la moquerie frôlée ou assumée : les manières vocales de la chanteuse lyrique, ses échauffements physiques, le mime ampoulé de l’interprète ou encore la petite guéguerre entre les deux pianistes pour se faire remarquer plus… À ces occasions, l’artiste détricote par le comique un certain nombre de ficelles que les gens du spectacle utilisent tous à un moment ou à un autre pour susciter l’empathie du public, pour ratisser l’adhésion… et les applaudissements. Anne Baquet fournit donc dans sa prestation les outils critiques qui permettent d’analyser les mises en scène : elle donne sans en avoir l’air une grille de lecture qui démystifie les représentations, y compris la sienne propre. En fait elle semble nous dire subtilement : « je suis bien contente que ça vous ait plu à ce point, mais ne soyez pas dupes, ce n’est que du théâtre » !
Tant de talents et de travail pour présenter un tel spectacle où, au-delà de la beauté, de l’humour et de l’émotion, plusieurs niveaux de lecture sont possibles, méritent un sacré coup de chapeau : Anne Baquet est une immense artiste.
Le site d’Anne Baquet, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs en a déjà dit, c’est là.
Injuste ? http://www.nosenchanteurs.eu/index.php/2011/07/30/anne-baquet-ma-preuve-que-dieu-nexiste-pas/feed/
qui a donné autant de talent , de dons et de qualités à cette chanteuse comédienne, pétillante , alors que d’autres, qui néanmoins chantent n’ont rien de tout ça ? Dieu aurait il des préférences ?
Comme je suis d’accord! Vu à Avignon l’été dernier. Un grand grand moment!