Bobin, Fèvre, Vivares, l’évidence d’un trio
« L’insurrection poétique », 2 avril 2015, théâtre de l’Ourdissoir à Lavelanet (Ariège),
par Cécile D.
La scène est sobre, intime : une table, une petite lampe rouge allumée, des guitares, trois sièges, trois micros, des câbles et deux enceintes… Les deux musiciens entrent en scène et ouvrent par leurs accords la voie aux rimes si spécifiques de Nougaro, lus par la voix singulière, soufflée, presque rauque de Claude Fèvre (elle nous dira à la fin du concert qu’elle l’avait perdue il y a quelques jours…). « Il serait temps que l’homme s’aime »… « Assez ! » Le ton est donné, le trio est en scène et nous embarquera sans répit dans une insurrection poétique et musicale qui parle au cœur et au ventre.
Frédéric Bobin et Pierrick Vivares, que j’ai presque envie d’appeler par leur prénom tant leur présence sur scène était chaleureuse, simple et complice, chantent, s’accompagnent l’un l’autre, ou jouent avec, et sur les textes lus par Claude Fèvre. L’évidence de ce trio sur scène est tout aussi palpable que leur estime réciproque. Et, quand ce ne sont pas les sons des guitares, à la fois folk, rock et swing, qui mettent en valeur les mots, ce sont les mots qui soulignent les sons ou qui jouent leur propre musique… Les textes sont à la fois tendres et féroces, truculents et légers, chroniques sociales où l’actualité raisonne, et où l’homme, cet Étrange bipède, est à chaque fois interpellé.
J’aurais beaucoup de mal à faire un compte rendu exhaustif de tout ce qui m’a marqué durant cette soirée… Ces trois voix ensemble, leur chaleur, leur profondeur et leur phrasé simple, percutant, impertinent. Les textes, le frottement des mots, des syllabes, le rythme, les rimes justes, sonores, les propos efficaces, tout en nuances, tendres et drôles, ironiques et cruels aussi, la poésie, la verve, la vie qui hurle, déraille, déraisonne mais garde espoir… Les plumes d’Aragon, Nougaro, Philippe Bobin (qui écrit les textes mis en musique et chantés par Frédéric), Pierrick Vivares, Souchon et d’autres encore, se rencontrent, se répondent, s’entremêlent, s’enrichissent… Une jeune femme de 20 ans, prostituée, scande son Au suivant, répondant à Brel, tandis que « Tatiana fait des passes (…) sur le périph ». L’homme est interpellé, toujours : celui qui peut à la fois « écrire des vers, tenir des revolvers », celui qui délocalise des usines à Singapour, caché derrière sa Façade, il a « envie de meurtres en rafales » ou bien « tellement d’amour à partager », mais souhaite avant tout ne « surtout pas se mélanger, malgré la proximité »… Puis se nouent, pour tout nous dire de ces contradictions, de ces blessures et de cet espoir aussi, Tant qu’il y aura des hommes de Bobin, et l’Espérance en l’homme de Nougaro : « Il suffit d’une voix, d’un certain regard pour qu’on voie un espoir toujours recommencer… ».
La soirée a été riche, dense, profonde, et cette insurrection poétique partagée, pleine de colère, nous dit la révolte nécessaire et l’espoir entre chaque mot, entre chaque note. L’échange est vrai, lumineux, évident. Et, en ce qui me concerne, je ne pourrais pas finir sans parler de cette Vieille ouvrière, chantée par Frédéric Bobin. Elle me raconte cette ville « en jachère », où j’ai passé huit mois entre la douleur d’une séparation et la naissance d’une vocation, « au pied de ces cheminées qui ne fument plus guère ». L’émotion était là, profonde, rythmée par le son écorché de sa guitare électrique… À la fin du concert, le public conquis et complice réserve au trio une belle ovation, et ne les laisse partir qu’au terme de trois rappels… qui, comme l’hirondelle de Nougaro, mettent « l’étincelle et le feu au cul d’un immense espoir » !
La vie ne vaut rien, avec, dit, Chanter c’est lancer des balles
Tant qu’il y aura des hommes, avec, dit, L’Espérance en l’homme
Une belle surprise cette « Insurrection poétique » , d’après les extraits vus . Bravo à tous les trois , et à renouveler j’espère .