La poésie insurrectionnelle que porte la chanson
Je ne sais qui décide, chaque année, du slogan, du mot d’ordre du « Printemps des poètes ». Fleur Pellerin, la ministre ? Cette année, c’est « L’insurrection poétique », si, si. C’est joli, ça se dit bien. Ah, l’insurrection ! Si seulement… Rassurez-vous, ce n’est que de la poésie.
Les éditions EPM (initiales qui, dit-on, signifieraient Et Puis Merde !) ont donc obéi à l’officielle injonction, la doigt sur la couture de la révolution. Et ça nous donne une bien belle compilation, entre francs révolutionnaires (Marche ou crève chante Rosalie Dubois, La Commune est en lutte chante Jean-Roger Caussimon) et Graine d’ananar. J’imagine la ministre se la passer en boucle à son bureau, puis prêter le disque à ses collègues du gouvernement, à faire rougir le rose pâle.
Francesca Solleville, Colette Magny, Yves Montand, Monique Morelli, Annick Cisaruk, Michèle Bernard, Julos Beaucarne… Et puis Marianne Oswald, Bernard Ascal, Anne et Gilles, Pascale Labbé, Germaine Montero, Marc Robine… Même Gérard Philipe ! Et chacun de chanter du Vian, du Sartre, du Rimbaud, de l’Hikmet et de l’Eluard, du Prévert ou du Neruda, du Couté, du Césaire et d’autres encore. Ça gronde et tonne dans nos oreilles, ça les entretient des fois que le Grand soir vienne comme ça, à l’improviste, nous surprendre entre deux élections. Car, rassurez-vous, c’est pas dans les playlistes des radios qu’on trouvera les armes et les chansons pour nous battre contre la macron-économie, contre la peste brune qui nous revient.
Cette compilation n’est issue certes que du fonds de catalogue d’EPM mais c’est une façon très agréable de le faire vivre. Et puis c’est généreux : 23 titres, c’est toujours ça. Quand la voix de Gréco (La fiancée du pirate) tonnerre, quand celle de Magny (Répression) se fait menaçante, quand Beaucarne interpelle Kissinger, ça nous secoue encore.
Bernard Ascal, qui a établi cette sélection, a dû prendre l’idée d’insurrection au pied de la lettre. Quand viendra-t’elle ? chante Eugène Pottier (pcc Catherine Perrier). Il est vraisemblable que dans les salons feutrés et dorés de la rue de Valois, l’idée de l’insurrection est plus évanescente, plus distante, plus poétique, plus typographique…
Les éditions EPM et Éponymes travaillant de concert, ça nous vaut un catalogue et une synergie profitable aux amateurs Chanson que nous sommes. Ainsi ce magnifique Pablo Neruda, lui aussi publié dans la collection Poètes & Chansons ; deux cédés, le premier de poèmes de Neruda traduits en français et chantés par Hélène Martin, et en v.o. par Mireille Rivat puis par Maria Casarès, le second composés de poèmes chantés par Angel Parra et d’autres dits par Pablo Neruda. Un dévédé d’une heure complète le coffret : Don Pablo, poète, film documentaire réalisé par Claire Almayrac.
Toujours dans la même collection, au chapitre des rééditions, notons le non moins passionnant L’étreinte du monde d’Abdellatif Laâbi (L’étreinte du monde chantée par Bernard Ascal et Fragments d’une genèse oubliée dits par Abdellatif Laâbi).
L’amateur ira de temps à autres sur le site de ces éditions pour se tenir au courant des parutions et pour se persuader, s’il le fallait encore, qu’il s’agit là d’un des plus beaux catalogues de chansons poétiques qui soit.
Desnos , mort il y a 70 ans au camp de Terezin sera à l’honneur pour ce printemps des poètes et toute l’année 2015 .
https://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=8qYYe43OZWI
Et Jean Ferrat a aussi chanté la Complainte de Pablo Neruda :
http://www.dailymotion.com/video/xv12iv_jean-ferrat-complainte-de-pablo-neruda_music
Et l’insurrection de l’âme c’est aussi ça:
https://www.youtube.com/watch?feature=player_detailpage&v=hdjXzp0-IoQ
Toujours sur tous les fronts Anne sylvestre !
On peut écouter l’Etreinte du monde « J’émigre en vain, en vain j’émigre… »:https://youtu.be/ZZzKEHynUyw
et puis l’insurrection poètique, même s’il n’est pas cité dans l’anthologie, c’est aussi Jean Vasca avec les Toupies de l’Utopie :
https://youtu.be/-9A1e_drmVY
Il serait réducteur de s’en tenir à une lecture partielle du thème de ce Printemps des Poètes, à savoir chant de révolte. L’insurrection poétique (ne pas dissocier les deux termes) c’est aussi affaire de langue, de style, d’écriture… c’est aussi et surtout le devoir d’espérance. Pour plus de clarté, relisons la présentation du directeur artistique de l’événement (non, ce n’est pas choix de Madame la ministre !) : Fait de langue, la poésie est aussi, et peut-être d’abord, « une manière d’être, d’habiter, de s’habiter » comme le disait Georges Perros.
Parole levée, vent debout ou chant intérieur, elle manifeste dans la cité une objection radicale et obstinée à tout ce qui diminue l’homme, elle oppose aux vains prestiges du paraître, de l’avoir et du pouvoir, le vœu d’une vie intense et insoumise. Elle est une insurrection de la conscience contre tout ce qui enjoint, simplifie, limite et décourage. Même rebelle, son principe, disait Julien Gracq, est le « sentiment du oui ». Elle invite à prendre feu.
Jean-Pierre Siméon, directeur artistique du Printemps des Poètes
Jean-Pierre Siméon avec qui j’ai eu l’honneur et le plaisir de collaborer pour un recueil collectif de poésie , au comité d’établissement Michelin . faire sortir la poésie des chapelles, en donnant la parole au peuple, c’est aussi ça l’insurrection poétique . Voici ce que Jean-Pierre dit dans la préface de ce recueil:
» Lire ce livre, c’est donner raison à ces hommes et à ces femmes qui refusent de rejoindre la troupe des pénitents étrangers qui vont tête basse et contrits sur le chemin de leur douleur . C’est donner raison à ceux là qui nomment leurs doutes, leurs défaites et leurs colères, et en tirent arguments pour de nouvelles audaces, qui, autodidactes de l’insoumission, refusent le silence et s’inventent la parole qu’on ne leur avait pas donnée . J’ai couché sur ton front le rêve des colombes dit l’un d’entre eux, avouons qu’il serait fou d’ignorer ce rêve !
On peut, n’est ce pas, vivre content de rien, avec des gestes enfouis et des regards frileux, traverser son espace à petits pas comptés, ne rien toucher surtout, ne rien troubler . On peut aussi, et c’est l’honneur des poètes, vivre de désirs et d’élans, de faims inquiètes et de volontés farouches, prôner l’espoir et l’avenir, bouger, crier, bref ne pas se rendre aux mornes évidences, » Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience . » écrit René Char . Assurément, les poètes rassemblés ici mériteront égards et patience . » Jean-Pierre Siméon .