Pierre Lapointe, notre « chanteur populaire québécois préféré »
14 février 2015, Smac La Paloma à Nîmes
La première partie (qui supportera vaillamment les entrées et sorties de salle dues à une organisation un peu dépassée au niveau de la restauration au bar) est assurée par une charmante slovaque, Beata Dreisgova, montpelliéraine depuis 2007, bien applaudie par le public. Pantalon de cuir et bustier corseté noir sous une resplendissante coiffe de mariée traditionnelle dorée (de celles qu’on ne peut guère porter plus de deux heures, tant elles sont lourdes), elle chante d’une voix claire et puissante les mélodies traditionnelles de son pays dans leur langue d’origine, ce qui est un peu austère à nos oreilles françaises, s’accompagnant tour à tour à la guitare et au clavier ou a capella en rappel. Au passage, elle nous gratifiera d’une ballade irlandaise très folk en anglais.
Pierre Lapointe, lui, s’il n’est pas encore universellement connu en France malgré nombre de concerts (ainsi qu’un Olympia, un été comme chroniqueur à France-Inter, et un album, Paris Tristesse, spécialement conçu pour nous qui aimons surtout les chansons mélancoliques), est une star au Québec où il a vendu plus de 500 000 albums (pour 8 millions d’habitants). Après la timidité des débuts, période très pop-punk-électro de Punkt et costumes flashies et multicolores, il se présente à nouveau en toute sobriété, costume gris et gilet retenus par une chaînette dorée, seul à son superbe piano de concert, comme à l’époque de Seul au piano.
Sobre, mais pas humble. Est-ce pour contrer notre arrogance, à nous maudits français qui nous croyons souvent au-dessus de nos cousins québécois ? Lapointe est star qui fréquente les plus grands, boit des cafés à 45 dollars, ne dédicace pas ses albums de peur d’attraper nos microbes, et se présente lui-même comme notre chanteur populaire québécois préféré… Alors pourquoi adorons-nous l’écouter, serions-nous masochistes ? C’est que, comme il dit, « j‘ai toujours adoré le détester. »
D’autant plus qu’il nous l’annonce, son tour de chant sera tellement déprimant qu’il avait pensé un instant à ne pas le faire en hiver, pour ne pas contribuer à une vague de suicide ! Mais il faut bien financer ses caprices…
Car toutes ses chansons, depuis ses débuts, si elles parlent d’amour (et de sexe, mais pas toujours joyeux), évoquent surtout l’incompréhension, les ruptures, la difficulté d’être à deux, les désirs inassouvis ou bafoués… « Si les hommes s’unissent c’est pour mieux se séparer » (Tel un seul homme, déjà à son répertoire en 2004).
Il décrypte les sentiments humains avec acuité et une vision terriblement lucide : « Tu es seul et tu resteras seul » qui ouvre le concert, commence par un texte parlé (« Mais en attendant ta fin tu dois vivre » ) bientôt rythmé par ces injonctions : « Pense, aime, ris, partage, pleure et rêve », s’achevant par un déchirant « Je t’aime », enfin chanté, avec cette mélodie qui déferle… Sa voix est pure, grave, modulée, très « propre » comme il dit, c’est à dire sans accent.
Pour nous détendre de sa noire poésie, il fait, et cette fois avec le bel accent du Québec, de longues digressions sur l’amour des français pour le plateau du Mont-Royal, qui n’est plus du tout apprécié des Montréalais (il faut dire que les Français y ont pris toute la place), évoque Mile End, la partie bilingue (« Ben c’est plus ça » non plus), ses démêlés avec l’actrice Monia Chokri qui se mêlait de vouloir chanter – finalement il a gardé pour lui la chanson qui lui était destinée, et ça donne S’il te plaît, « prends moi comme si j’allais mourir demain / Comme si je cachais toutes les beautés du monde entre mes mains. »
Une bonne douzaine de chansons qui nous emportent au galop des émotions, certaines remontant à ses débuts, mais aucune reprise du répertoire français comme nous aurions pu nous y attendre. La seule reprise sera québécoise, avec Moi, Elsie, de Richard Desjardins, écrite pour la chanteuse inuktikute Elisapi Isaac, l’émouvante aventure d’une jeune native pour un ouvrier venu travailler dans un chantier du grand Nord qu’il intériorise complètement.
Après un quart d’heure de questions de son public auxquelles il répond simplement et avec pudeur, nous en savons un peu plus sur nos cousins du Québec, très peu sur lui, mais beaucoup sur le genre humain….
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