Laffaille et Duino, voyage poétique et humaniste
10 février 2015, Nuit de la Poésie, Théâtre Toursky à Marseille
Gilbert Laffaille nous le dit : il revient tous les dix ans environ au Toursky, à l’invite de son directeur Richard Martin, ce qui a permis au parisien de tisser des liens avec un public marseillais toujours fidèle. Quant à Jean Duino, qui nous vient d’« à côté des Martigues » il a peu à parcourir pour rejoindre ce Théâtre à la programmation toujours exigeante, citoyenne et sociale tout à la fois, que Richard Martin a créé dans le quartier populaire de la Belle de mai un peu avant que Gilbert Laffaille ait commencé à chanter, et pour lequel il s’est battu envers et contre tout pour en faire ce beau lieu de sept cent places.
Ce n’est pas par hasard que nous y retrouvons ces deux troubadours de la chanson qui ont en commun une écriture fine, aiguisée et créative, un goût des mots qui ont du sens, des sonorités et du rythme, des mélodies voyageuses, et un engagement poétique alliant dérision et émotion… et l’espoir d’un monde meilleur.
En première partie, Jean Duino tout de blanc vêtu s’accompagne, assis, à la guitare, et insinue de sa voix douce au bel accent provençal tous les mots et les notes, avec une simplicité qui peut rappeler Brassens. Impression vite confirmée avec l’Escarpolette de son dernier album Époque épique (2013) « Je préférais Paulette / Et son escarpolette / Quoi de plus affolant / Que sa robe à volants ! »
Car Jean a l’art des mots au charme intemporel qui collent à ses souvenirs d’enfance. Comme dans Vannier évoquant son grand-père qui a gardé toutes ses idées intactes : « La vie t’a laissé valide / Longtemps alerte et solide / Et le cœur bien arrimé » ; pas comme Théo « qui a toujours sept ans. » Souvenirs, impressions de voyage aussi comme ces « corail et coraline (…) sous le soleil mandarine » ou la mer, son monde de rêve et de vie dont il a l’inquiétude de le savoir en danger. Souci toujours d’un monde qui va mal, où surgissent des peurs irraisonnées, avec La grippe du canard, où se mêlent la crainte « des poules maboules folles comme des bovins » à celle de tous les virus, parasites et bactéries.
Si ce jour là de Georges Moustaki rend hommage au grand chanteur que Jean interprète souvent, associé au souvenir du chanteur marseillais Michel Barelier, « Mike », mort le jour de la fête de la musique ; nous finissons sur la très belle Complainte africaine évoquant le dur voyage des esclaves arrachés à leur terre.
Fabrice Bon l’accompagne non au fifre, mais à la clarinette, à la flûte traversière ou au violon : c’est clair, mélancolique ou sensuel, pur comme l’est l’eau vive.
Après le charme tout en délicatesse et en retenue de Jean Duino, la présence imposante et rassurante de Gilbert Laffaille crée un contraste saisissant. Accompagné par la très jazzy Nathalie Fortin au piano, que l’on connaît aussi comme pianiste de Francesca Solleville ou de Rémo Gary, et l’éclectique Jack Ada à la guitare (habitué à accompagner tant chanson que rock, folk ou comédie musicale), il a toute latitude pour arpenter les planches, se planter en devant de scène ou s’appuyer sur un haut tabouret : il remplit tout l’espace.
Bien oublié les débuts un peu timides, le temps a donné au personnage toute sa rondeur et sa maturité, il vieillit tel un bon vin, le Saint–Émilion qui l’a sponsorisé au temps de Chante vigne, Chante Vin avec Gérard Pierron, ou Le P’tit Château Lasoif (« Moi c’est l’rouge pas farouche / Qui roule bien dans la bouche / Ni trop mou ni trop vert »), chanson écrite pour Pierron qu’il reprend avec verve.
La voix reste de velours mais porte plus, il nous offre un florilège de ses anciennes chansons toujours d’une actualité brûlante près de quarante ans après, Le Président et l’Éléphant qui l’a fait connaître au grand dam de Valéry Giscard d’Estaing, le Blues de Neuilly cousin du Auteuil, Neuilly, Passy des Inconnus, Corso Fleuri un temps censurée par la presse niçoise, Le gros chat du marché (« Miam, miam, miam, miam, quand on voit c’qu’est dev’nu not’ quartier / Il faudrait plus de rondes, on n’est pas protégé ! ») ou encore Ça ne tient qu’à un fil, sur la destinée.
Il rythme son spectacle, alternant des satires drôlatiques (comme l’amusant Des bigoudis par douze qui se moque de notre passion consumériste pour les super marchés où il partirait se ressourcer plutôt que de péleriner à Compostelle ou trekker au Népal) et chansons romantiques, parfois empreintes de mélancolie : La tête ailleurs, Tout m’étonne, Les raisins dorés et celles de son récent album de 2013 : Si tu n’es plus là, dédiée à son épouse et les très engagées Chez M.Li ou Homme en boubou, femme en sari…
Ses émotions, il nous les conte au passage, avec discrétion, et nous accorde en rappel un sketch d’humour absurde où il se joue des mots et des sonorités tel Raymond Devos…
Le profil facebook de Gilbert Laffaille. Celle de Jean Duino. Ce que NosEnchanteurs a déjà dit de Gilbert Laffaille. De Jean Duino.
Jean Duino La complainte africaine
Extraits d’un précédent spectacle au Toursky, avec Patrick Brugalières
Commentaires récents