La Chanson de Craonne, les poilus et Le Forestier
Le Courrier Picard en date du 3 juillet 2016 : « Couac à Fricourt ce vendredi 1er juillet. Si les 600 à 700 participants retiendront une belle cérémonie hommage aux Allemands, en coulisses les rouages étaient grippés. Le secrétaire d’État Jean-Marc Todeschini a refusé que soit entonnée la Chanson de Craonne, appel à la grève des soldats contre « Tous ces gros qui font la foire (…) feraient mieux de monter aux tranchées pour défendre leur bien, car nous n’avons rien ». Occasion pour NosEnchanteurs de rappeler d’autres couacs sur cette chanson qui ne cesse d’en gêner certains…
Aucune chanson ne fut aussi traquée que celle-ci, puis tue durant des décennies, soigneusement expurgée des ouvrages historiques. A sa création elle ne se risqua pas d’être chantée en public et personne ne la revendiqua. Elle est anonyme. On ne connaît que le compositeur, écrite qu’elle fut sur un timbre (une chanson qui reprend mélodie et métrique d’une chanson célèbre, en l’occurrence un succès de l’époque (« Bonsoir m’amour, bonsoir ma fleur / Bonsoir toute mon âme !.. », valse dont le texte est de René Le Peltier et la musique de Charles Sablon, le père de Jean) comme il était d’usage sur ce type de chanson destinée à être vite mémorisée, vite partagée, comme toute chanson de propagande.
Elle n’est pas une, mais des centaines, des milliers. Des milliers de versions de cette chanson qu’on reprenait aux lèvres du copain de tranchée, consignées par les poilus dans leurs lettres, le plus souvent stoppées net par la censure, qui différaient souvent d’un mot, de deux vers, avec parfois un couplet inédit, surnuméraire.
Elle, c’est La chanson de Craonne.
Cette chanson fut créée suite à l’offensive Nivelle du 16 avril 1917, entre Soissons et Reims, qui fit 270 000 victimes dans l’espoir de gagner quelques mètres de terrain à l’ennemi.
La légende veut que les autorités militaires françaises promirent un million de francs-or (mieux que de gagner le gros lot de la loterie nationale !) et la démobilisation immédiate pour qui en dénoncerait l’auteur. En vain.
Il y a peu, nous avons fait mention de la sortie d’un disque du Chœur Montjoie de Saint-Denis (d’anciens scouts réservistes et actifs) sur des chansons relatives à 14-18. Et disions notre indignation à l’écoute d’une version scandaleusement tronquée, révisionniste, de La Chanson de Craonne : il en manquait le dernier couplet et l’ultime refrain. Comment oser encore censurer cette chanson-sanctuaire, la plus emblématique de cette guerre des tranchées ?
Mais Montjoie n’est pas le seul a amputer ce chant des poilus. Avant eux, en 2003, c’est Maxime Le Forestier qui l’avait fait, rognant dans le dernier refrain au seul prétexte qu’il ne se sentait pas de chanter des paroles aussi violentes. Le Forestier l’avait enregistré suite à une commande publique de département de l’Aisne : la version rabougrie fut diversement appréciée, c’est le moins qu’on puisse dire, dans ce département qui compte en son sein la tristement célèbre commune de Craonne. Quelle partie fut alors supprimée ? Celle-là : « Ceux qu’ont l’pognon, ceux là r’viendront / Car c’est pour eux qu’on crève / Mais c’est fini, car les troufions / Vont tous se mettre en grève. » Quatre vers qui n’enlèvent rien ou pas grand’chose à la charge de cette chanson. Sauf qu’en 1917, cause ou conséquence de cette Chanson de Craonne, des mutineries et menaces de grève s’insinuèrent dans les rangs de poilus refusant de retourner au front. Succédant à Nivelles, Pétain, le vainqueur de Verdun, reprit les choses en mains et fit fusiller des soldats pour l’exemple. Ces « fusillés pour l’exemple » que la France a toujours beaucoup de mal à reconnaître et que Le Forestier, l’irresponsable, efface bêtement d’une chanson historique. C’est facile d’être chanteur dans un pays désormais en paix.
Pourquoi vous raconter ici de vieilles histoires ? Parce que nous sommes en plein centenaire de la première guerre mondiale d’une part. Et qu’une intégrale des chansons de Maxime Le Forestier, Les lianes du temps, vient de paraître : seize disques dont le dernier reprend des chansons éparses, absentes des disques originaux, dont La Chanson de Craonne dans sa version tronquée. Le bougre insiste.
C’est d’autant plus surprenant de la part de celui qui créa jadis Parachutiste, chanson notoirement antimilitariste qu’il fait désormais passer pour un simple portrait et non le pamphlet qu’il fut. Créateur aussi de la superbe chanson Les lettres en 1975 (vidéo ci-dessous), correspondance entre un poilu et son épouse.
Prenant pour exemples Brassens avec Paul Fort ou Ferré avec Aragon, Le Forestier a souvent justifié par le passé le fait qu’on puisse retailler un texte. Mais, sauf à réécrire l’Histoire, on ne peut amputer, de quelque manière que ce soit, cette Chanson de Craonne. Jouer du ciseau avec, c’est pisser sur les tombes du Chemin des dames.
Les fusillés pour l’exemple, sujet d’actualité aussi en chansons alors que leur réhabilitation n’est toujours pas acquise malgré les promesses politiques…
Une chanson à un million de francs-or pour les uns, et à 270 000 vies, pour les sacrifiés . Pour ces derniers, et pour tous les autres poilus de cette « guerre infâme », c’est une honte d’enlever un seul mot à cette chanson .
Rien ne m’étonne plus de maxime Le forestier pas plus de son « ami de 30 ans » Julien Clerc
Il ne faut pas rejeter le Le Forestier que nous avons aimé. Mais il est vrai que celui d’aujourd’hui est bien ennuyeux, fade (son dernier album, « Le cadeau », ne vaut pas la peine qu’on s’y attarde). Et sa conduite de courtisan (auprès des Bruni-Sarkozy, avec Julien Clerc, notamment) n’arrange pas l’image que nous avons désormais de lui. Il est à conjuguer au passé, mais dieu que le passé nous était agréable.
Quant à son charcutage de « La chanson de Craonne » (prenez le texte en mains et allez écouter ce titre par Le Forestier sur Deezer), c’est conforme à ce qu’il est devenu : à vomir.
Prenant pour exemples Brassens avec Paul Fort ou Ferré avec Aragon, Le Forestier a souvent justifié par le passé le fait qu’on puisse retailler un texte.
ça n’a rien à voir, Brassens et Ferré ont mis en chanson courte ce qui était à l’origine des textes assez longs, et pas forcément adapté à la chanson. L’exemple des « Oiseaux de passage » est significatif, Rémo Gary l’interprète, mais la première partie que Brassens a éludée est parlée, elle aurait été difficile à chanter. En revanche, dans le « corps » de la chanson, Rémo Gary a gardé des strophes que Brassens avait supprimées. Sans que ça trahisse le sens global. dans le cas de la chanson de Craonne, c’est un blasphème de zapper la dernière chanson, comme dans Frédo de Dimey, dont certains interprètes oublient la dernière strophe, celle qui transforme une chanson rigolote en coup de fouet contestataire.
Tout à fait d’accord avec Norbert : il ne faut pas confondre mise en chanson de poème et reprise d’une chanson.
Rémo Gary a fait œuvre documentaire, avec Les Oiseaux, mais il faut bien reconnaître, qu’en dépit de son immense talent, ce n’est certainement pas celle qu’on écoute le plus parmi ses chansons.
Brassens a aussi tronqué Les Passantes, d’Antoine Pol. Si la chanson avait restitué tout le poème, elle aurait perdu de sa vigueur. Autre exemple (et il y en aurait des dizaines et plus) Est-ce ainsi que les hommes vivent de Ferré-Aragon. Le poème « Bierstube magie allemande…) est interminable. Ferré l’a élagué et il en a également inversé des strophes afin de lui donner un sens plus dramatique. Il n’y a pas de trahison.
En revanche, quel intérêt aujourd’hui de chanter la Chanson de Craonne, dont l’intérêt est justement documentaire, si l’on retire ce couplet violent certes, mais qui témoigne de la lucidité de certains poilus ? C’est une gifle pour eux et pour les risques qu’ils ont pris.
Et pour rester dans le thème : Mutins de 1917, une chanson de Jacques Debronckart
http://youtu.be/462oq4hBACA
Pas d’accord, Maxime fait encore, ou a fait assez récemment quelques belles chansons, et a gardé sa belle voix.
Pour le reste, enlever son sens à la chanson de Craonne, je trouve aussi que c’est inadmissible, d’ailleurs les paroles sont beaucoup moins violentes que La Marseillaise !
Mieux vaut ressortir les vinyles, Hymne à 7 temps, 1976 :
Sur ta bouche je te baise,
Mon beau fusil d’amour.
On verrait l’armée française
Enfin sous son vrai jour.
…
Groupons-nous dès demain matin
Pour la libération des rondes
Et dès le Grand Soir au matin,
On pourra voir danser le monde.
…
Chanter au pas me fait du mal.
Je n’ai pas appris la musique
Pour accompagner l’arsenal.
Je cherche un hymne national
Qui fait que le soldat claudique
Et danse enfin le général.
http://youtu.be/Y0O9ZzAKpJs
Merci à Michel Trihoreau de m’avoir fait découvrir cette magnifique chanson de Jaques Debronckart « Mutins de 1917″
Demain nous reviendrons sur cette période avec le très bel album de François Guerrier (ex Tichot), « De la boue sous le ciel », qui a mis en musique des poèmes de soldats des tranchées (d’infirmières et de femmes au foyer aussi). On y trouve d’ailleurs une nouvelle version encore de « La Chanson de Craonne » (ça varie très peu…). Ce travail fait suite à l’autre et admirable disque de Tichot de 2007 : « 14-18 avec des mots. Une vie de bonhomme ».
A noter à ce sujet le petit papier en page 6 du Canard Enchaîné de cette semaine, à propos du livre de Bertrand Dicale « La fleur au fusil : 14-18 en chansons ».
Il n’y a pas si longtemps l’armée refusait de reconnaître que Dreyfus était innocent…
Quoi ?!?
Dreyfus est innocent ?
Eh oui, mon ami Emile me le disait encore il y a quelques jours…
bravo pour tous ces renseignements sur un chant que je découvre par hasard, et qui se respecte pour tout le sang versé à tort autant que pour la prétendue liberté d’expression.
très heureuse de pouvoir l’entendre chanté de manière authentique. Tant d’anciennes chansons sont perdues à jamais.
merci !
Dernière version enregistrée connue, celle du McDonnell trio, sur le disque « It’s a long way to Tipperay » (Chansons de la première guerre mondiale) qui vient tout juste de sortir aux productions TVB (distribution L’Autre distribution). Nous y consacrerons bientôt un article, de même que nous parlerons prochainement du livre « La fleur au fusil (14-18 en chansons) » de Bertrand Dicale, paru il y a quelques mois aux éditions Acropole : on y parle, bien sûr, de cette fameuse chanson. De bien d’autres aussi.
Assez surpris par cette réaction de Maxime LE FORESTIER. Il a dans d »autres chansons manifesté son antimilitarisme. Don comprenne qui pourra !
J’ai une vieille cassette de Marc Ogeret où il chante cette chanson, et au complet. Après ´se mettre en grève ´, il dit encore : Ce sera votre tour
Messieurs les gros
De monter sur le plateau
Car si vous voulez faire la guerre
Payez-la de votre peau
Ça fait penser au déserteur de Boris Vian.
A ecouter également > La partie d’échecs par Serge Kerval
> https://www.youtube.com/watch?v=I8ghyewKOlQ
les Frères Jacques ont pratiqué de même en coupant le dernier couplet de Fredo, écrite par Bernard Dimey, transformant une chanson au final anarchiste en une chanson plus « sirupeuse »….pt etre avec l’accord de Dimey, mais c’est bien dommage
cette chanson a été écrite bien avant l’offensive de Nivelle en 1917
http://archivesdufolk59-62.blogspot.fr/2014/01/la-chanson-de-craonne-est-nee-ablain.html
Message pour Michel Kemper…..bonjour je viens de voir la mention de notre album « It’s a long way to Tipperary »
On la chante « Craonne » et bien sur avec la texte integral
Tu peut nous retrouver ….www.mcdonnellmusic.org
on lache rien!!!!