Lynda Lemay, prêt-à-penser, prêt-à-pleurer
Lynda Lemay, 6 novembre 2014, festival Les Oreilles en pointe, Firminy,
Vingt-cinq ans que notre québécoise fait recette. Vu la ferveur du public, ça ne s’arrêtera pas de sitôt. Sur la scène, une école est suggérée à gros traits. La pupitre est un clavier, un tableau vert, sur le sol une marelle… trois fois rien en fait. C’est la tournée Feutres et pastels – le titre de son plus récent album – mais ça aurait pu se nommer « plumier et morceau de craie » : « J’ai apporté des strophes / A vous d’les corriger / Allez soyez mon prof / Je vous tends mon cahier. » Une structure en mezzanine porte des musiciens hauts perchés. Un canapé de l’autre côté. Plus sûrement, c’est Lynda Lemay qui peuple et habille cette scène. Par ses souvenirs et ses émotions, ses indignations, ses joies. Par des chansons anciennes érigées en icônes (Les souliers verts…), par d’autres bien plus récentes. Par des arrivages du jour et par une ou deux des tous débuts, qu’elle nous dit, quand gamine elle les a écrites et chantées devant papa et maman.
S’il est vraiment une valeur qui transpire de ce récital, c’est la famille. Une chanson sur Papa (Le meilleur c’est mon père), une autre sur Maman (Une mère), les filles évoquées à tout bout de champ, même quand Lynda, abattue, a battu sa fille… Familial, le public l’est. Ni d’enfants ni de jeunes ici, franchement absents, mais parents, grands-parents et plus anciens encore. Lynda Lemay se transmet comme une valeur familiale, une chanteuse qu’on s’en va consulter quand se posent les premières questions de couples, de famille, d’éducation. C’est comme Famille magazine : on ne l’achète pas à quinze ans, de même qu’on ne regarde pas encore Toute une histoire à la télé.
Lemay pourrait nous énerver avec son catalogue de problèmes (sexualité, prostitution, mariage, maternité, vieillesse…), sa pharmacopée chantée, son prêt-à-penser, son prêt-à-s’émouvoir, son prêt-à-pleurer, sa collection de belles paroles, de réparties, ses vers joliment féminins… Mais elle est là pour ça. Elle est chanteuse, certes, mais aussi confidente, amie, assistante sociale. Qu’on s’en vient consulter. De surcroît, on est séduit par cette voix, cette foi en l’amour, cet étal de bon sens, de valeurs, ces vertus thérapeutiques.
Que les instruments accentuent là où il faut : ça violone, ça s’accordéonne, ça ponctue les mélodrames, ça surjoue. Et… et c’est bon. Un bémol, un seul : la gourmandise de Lynda Lemay, qui s’étale en un concert de plus de deux heures. Longue, trop longue consultation : ça gagnerait à être resserré, élagué. Et pis c’est bien de nous frustrer ; ça peut même faire un sujet pour une nouvelle chanson.
Le site de Lynda Lemay, c’est ici ; ce que NosEnchanteurs a déjà dit d’elle, c’est là.
La première fois que je l’ai vue, dans la petite salle du Sentier des Halles, on était deux ou trois à penser à Brel en scène, et nous ne nous étions pas concertés, étant des spectateurs voisins de siège sans plus..
Ensuite, quand elle a eu le culot de changer la chanson prévue (en prime-time télé) pour faire « L’ancêtre » en guitare voix, et sans l’orchestre un peu sirupeux qui était prévu, mon estime lui a été définitivement acquise.
(Si j’ai l’occasion je lui demanderais volontiers si ce changement de dernière minute, c’était du direct, c’était pas pour échapper au formatage qu’on voulait lui imposer… Conséquence de ce coup de culot, la direction de France 2 l’a tricardisée de ses émissions… Ce qui ne l’a pas empêchée de faire des tournées à succès, et des Olympia pleins. Lynda, respect !)
« Lemay pourrait nous énerver avec son catalogue de problèmes (sexualité, prostitution, mariage, maternité, vieillesse…) »
Cher et estimé rédac-chef, ces problèmes seraient-ils perçus avec condescendance quand ils sont chantés par une femme ? Je n’ose le croire…
Il y a là, un débat à faire sur les femmes ACI dans la chanson, par la force des choses, elles sont embarquées dans les thématiques sur la vie de famille, quand la plupart de ces messieurs ACI mettent la carrière avant tout, et pensent vers 50 ans à se faire une famille, la deuxième, et à s’en occuper un peu… Cécile ma fille, est une belle chanson, mais Cécile, si j’ai bien suivi n’a pas vu souvent son papa Claude, il l’a bien reconnu d’ailleurs…
Moi j’aime bien Lynda Lemay. Elle me semble généreuse, attentive, soucieuse. Elle a du lister un beau jour tous tous les problèmes de la vie et coche en face chaque fois qu’elle en a fait une chanson. J’aime bien. J’aime bien non m’en moquer – surtout pas ! pas elle ! – mais constater ce petit commerce de la chanson qui est le sien. Qui d’ailleurs commence de plus en plus par être copié. Je la vois en scène tous les trois ou quatre ans, le rythme me convient : je constate alors les nouveaux p’tits bobos de la vie qu’elle a versifiés. Je la tiens pour assistante sociale de la chanson : l’idée me plait. De toutes façons, la chanson est déjà un baume au coeur. Elle c’est le degré au dessus : c’est de l’homéopathie.