Reggiani, de Boulay à Gicquel
J’aime ces présentateurs stars de la télé, l’œil humide et la main sur le cœur en parlant de ces chers grands disparus puis donnant le micro à l’industrie discographique pour qui il reste toujours du fric à se faire sur les chanteurs, même en état de décomposition avancée.
Pour célébrer Serge Reggiani, dont c’était en juillet le 10e anniversaire de sa disparition, nous avons eu l’incontournable, qui dis-je, l’incommensurable Isabelle Boulay, forcenée de l’émotion calibrée. « Sublime, forcément sublime » aurait dit Duras de la Reggianidolâtre.
Bon, soyons objectif : ce qu’en fait Isabelle Boulay est plutôt belle chose, car justement n’en faisant pas trop. Juste ce qu’il faut pour mettre en valeur les (belles) oscillations de sa voix et ainsi rallier à elle le plus grand nombre d’acheteurs. Reconnaissons lui aussi le franc mérite de tirer de l’oubli nombre de titres restés à la marge du succès (Le déjeuner de soleil, Les amours sans importance, De quelles Amériques, Si tu me payes un verre, L’absence...), l’empreinte de l’original est alors moins forte et c’est en ce cas intéressant, à côté de quelques (mais rares en ce disque) incontournables (Mensonges du père à son fils, L’italien, Le petit garçon [là, le triste violoncelle derrière le voix fait inutile redondance], Il suffirait de presque rien…). Rien que pour ça, bravo.
Par elle, on s’aperçoit comme jamais que la chanson Serge Reggiani est masculine : il est tantôt le père, tantôt l’amant, toujours l’homme. Isabelle Boulay ne change en rien aux textes : le père du Petit garçon par elle reste le père, quand d’autres auraient tout féminisé. Merci.
Quatorze titres et l’imparable légitimité de celle qui, le saviez-vous, a partagé la scène avec lui : « c’est encore aujourd’hui l’un des moments les plus touchants et les plus marquants de ma vie d’artiste. »
Je ne sais si Pascal Carré, Gérard Berliner, Dominique Babilotte ou Karim Kacel ont partagé telle scène mais ce que chacun d’entre eux nous a donné nous est aussi précieux, respectueux. Comme ce qu’en a fait Marc Gicquel, commissaire aux comptes de profession et chanteur par vocation, avec son Reggianissimo où, accompagné au piano par Christian Boutin, il a à son tour gravé quatorze titres (sur les vingt-cinq du spectacle éponyme). Pour l’essentiel des titres très en vue, de L’italien aux Mensonges du père à son fils, de La dame de Bordeaux à L’homme fossile en passant par Le petit garçon et Sarah… Le risque est plus grand de s’exposer à la comparaison devant ces chefs d’œuvre d’interprétation de Reggiani. C’est, là encore et plus encore, sur les titres que nous avons les moins en oreille, que nous sommes le plus convaincus (La complainte du tabac, ça va, ça va…)
Sans grands moyens (certainement pas ceux d’Universal), reconnaissons que Gicquel s’en tire fort honorablement. Peut être plus proche de la façon qu’avait Reggiani de chanter, mais sans le coffre de celui-ci et avec, par ci par là, quelques faiblesses. Plus impliqué sans doute tant il est vrai que de reprendre de tels titres est un challenge sur chacun d’entre eux : ne pas copier mais ne pas trop s’en éloigner non plus. Pour autant cet album ressemble plus au disque qu’on achète à la fin du récital pour en conserver le précieux souvenir qu’à l’achat résolu chez le disquaire (qui me souffle qu’il n’en existe plus ?).
Difficile de comparer ces deux albums, le curseur n’est pas mis pareil, l’un très pro, l’autre forcément moins. On accordera pourtant semblable estime aux deux même si aucun des deux n’a la prétention de nous en apprendre sur Reggiani, d’aller plus loin.
Isabelle Boulay, Merci Serge Reggiani, Polydor Universal, 2014 ; Marc Gicquel, Reggianissimo, autoproduit, 2014. Le site d’Isabelle Boulay, c’est ici ; celui de Marc Gicquel, c’est là.
Bon, je sais qu’ Isabelle Boulay et Universal n’ont pas besoin que j’achète cet album pour survivre, et on l’entend partout, mais j’aime bien Isabelle Boulay qui a un succès mérité et son ressenti de Reggiani, sobre et sincère.
J’ai plus de mal avec Marc Gicquel, d’après ce que j’ai pu écouter sur son site.
Je n’ai aucune affinité particulière avec Isabelle Boulay, je ne me suis jamais arrêté sur son répertoire.
Mais là je la trouve très bien dans ses reprises de Serge Reggiani.
Son interprétation et les instruments qui l’accompagnent, me vont droit au coeur et je suis très émue en l’écoutant.
Je n’ai encore pas écouté Marc Gicquel .
Mais comme vous le dites, je pense que ni l’un ni l’autre ne peuvent avoir la prétention de nous en apprendre sur Reggiani.
Merci pour ce « lancer de disque ».
Jusqu’à présent, Isabelle Boulay me laissait assez indifférent. Je lui trouvais une belle voix mais des textes pas toujours à la hauteur de son talent. Avec Merci Serge Reggiani, elle se révèle une interprète sincère, sobre, émouvante. Elle rend un hommage sans dévotion mais avec une réelle tendresse à un artiste venu tardivement à la chanson. Reggiani ne chanta qu’à la cinquantaine . Lui aussi était un interprète d’exception servi par de grands auteurs.
Alors Universal ? Peu importe que l’artiste soit signé par telle ou telle major. Après tout ce fut le cas de Brassens, Brel, Barbara, Ferré… et j’en passe. C’est le résultat qui compte, celui qu’un large public (re)découvre des artistes et leur répertoire.
J’ai été moins convaincu, sans vouloir comparer, par la démarche de Marc Gicquel non qu’elle soit plus intimiste mais quelque chose, un je ne sais quoi me gêne. Peut-être l’empreinte de ces chanteurs à texte qui négligent la partition musicale. Mais enfin le résultat n’est pas si déshonorant malgré le manque évident de moyens de production.
L’inattendu peut surgir de là où on l’attend pas forcément. « L’italien », dans cette formule réduite, c’est très convaincant, beau travail d’interprète qui ne se croit pas obligée de faire son intéressante en « modernisant » (en massacrant) l’original. Et dans ce domaine, le pire est souvent là… (J’ai des noms …)
Quant à adapter au féminin les chansons de Reggiani, c’est mission impossible, ce sont ses chansons, écrites par d’autres, mais ses chansons, ce que Moustaki a bien résumé: « Reggiani est l’auteur de 200 chansons qu’il n’a pas écrites. » Mais il a bien choisi ses plumes de substitution…
Bien d’accord avec vous Floréal et Norbert.
Vos deux articles résument tout à fait ce que je pense de cette interprétation de Reggiani.
Merci de savoir si bien écrire ce que j’ai souvent un peu de mal à exprimer!!! ou à « interpréter » !!!
Tant qu’à faire, autant écouter une partie de l’original… Un concert de Carine Reggiani, c’est un vrai régal et elle m’a fait découvrir des chansons que je ne connaissais pas. Ses interprétations sont originales avec des explications de textes ou circonstances… De plus, cette dame est tout sauf prétentieuse, ce qui devient rare…
J’aime celui de Marc GIQUEL parce qu’il a fait selon ses émotions ! il a fait autre chose que du Serge REGGIANI ! Isabelle BOULAY, je ne le connais pas encore !