Prémilhat 2014, Petit Taureau, Nougaro où es-tu ?
Le défi que se lance Noah Lagoutte n’est pas pour nous déplaire, loin de là. Certains de nos « enlecteurs » ont peut-être souvenir d’une chronique de l’été sur une autre audacieuse qui nous avait émus, conquis. Être une femme et s‘emparer du répertoire d’un artiste dont la virilité, je dirais l’animalité, est l’une des lignes de force, nous interpelle immédiatement, suscite notre désir et notre impatience. Trop ? Peut-être… si l’on en juge par notre déception à la sortie du concert.
Bien sûr, on s’empressera de préciser qu’il est nouvellement né, qu’il a besoin de se roder, se frotter à l’âpre réalité de la scène et qu’il sera bon d’y revenir un peu plus tard. Car le trio a de quoi nous transporter. Noah Lagoutte, auteure, a donné idée d’un univers sans concession dans son dernier album Pomme Verte qui lui a même valu d’être récompensée par l’UNAC, lors du concours Vive la Reprise 2012. Les deux musiciens, Pierre-Yves Côte à la contrebasse et Frédéric Bobin, à la guitare électrique, sont à la mesure du projet, nous le savons.
Sans doute l’académisme de Dansez-sur moi, plus encore l’absence d’émotion dans Il y avait une ville où le drame d’une fin du monde est résolument effacé, une voix qui semble manquer d’âme, un corps trop raide décidément, ont pu laisser longtemps le spectateur sur la rive.
Car on attendrait que cette jeune et belle Noah, dans le noir et les touches orange de sa tenue très juste (on aimerait voir ses deux complices dans des couleurs à l’unisson), donne du corps, en effet, à ce qu’elle chante. Il faudra attendre huit chansons au moins pour que l’on sente venir un peu d’émotion comme si le propos était juste de porter le texte, sans effets, sans chaleur.
Mais est-ce seulement possible quand il s’agit de celui de Claude Nougaro, et que l’on choisit de se nommer Petit Taureau avec tout ce que l’image charrie de charnel, peut-on vraiment désincarner le répertoire dionysiaque de celui qui chantait : J’entrerai dans la reine / la reine des abeilles… Je la matadorerai avec mon appareil… ? Que voulez-vous, ces mots là, dont on n’ignore pas, bien sûr, la portée métaphorique, sont encore à notre oreille. On n’y peut rien !
Alors, sans doute, le concert a-t-il d’autres effets sur de plus jeunes qui découvrent ce répertoire, portée effectivement avec clarté, limpidité. Reconnaissons à ce jeune Petit Taureau le mérite de vouloir porter, transporter le miel des chansons de celui qui s’est tu.
Le site de Noah Lagoutte, c’est ici : ce que NosEnchanteurs à déjà dit d’elle, c’est là.
Nuançons. Selon notre degré d’implication en Nougarie (ah, cette plus -d’ange il va de soi – de ma consoeur de la ville rose), de notre degré de connaissance, on ajustera notre appréciation. Chacun voit Nougaro à sa façon, chacun, sur l’écran noir de ses nuits blanches, se fait son cinéma. La travail de Petit Taureau et notamment et surtout de Noah Lagoutte, est estimable, qui propose sa version, en retenue certes, sans nougarotter d’effets mais tel est son ressenti. Tel peut éventuellement ne pas être le mien ou celui de mon voisin. Toujours est-il qu’elle peut participer à défricher de nouvelles terres encore vierges pour essaimer la bonne parole de M’sieur Claude. Et ça, c’est bien, c’est bingo. Reste à bien roder ce récital tout beau tout neuf (ce fut hier sa sixième représentation seulement), à l’évidence perfectible. Allez, on le revoit dans un autre torride toril d’ici à quelques mois, juré !
Tu n’as pas retrouvé ton Petit taureau avec Noah , mais tu n’es pas pour autant vache avec elle ! j’imagine que c’est difficile de faire passer la virilité de Nougaro par la voix si claire et féminine de Noah .
Une femme qui s’empare d’un répertoire aussi typé que celui de Nougaro, ça peut en effet être compliqué. C’est valable aussi pour des auteurs comme Dimey, ou Brassens, dont certains textes et certaines chansons sont incompatibles avec le féminin. Dans ces exercices à haut risque, et dans ceux que j’ai vus, ce sont le plus souvent les comédien(ne)s qui s’en sortent le mieux , car l’interprète qui chante s’efface devant le personnage, et c’est le personnage qu’on voit vivre à travers la chanson… Alors que souvent, le chanteur fait le chanteur, parfois en s’écoutant chanter…
Récemment j’ai assisté à une émission, en public, dans laquelle un chanteur présentait une partie de son album de « reprises » revisitées, je n’ai pas l’album, mais en scène, c’est … comment dire? de la parodie ? du pastiche ? de la démolition en règle ? parce qu’inviter le public à se lever et bouger sur « Les roses blanches » c’est dans la lignée « Twist again à Birkenau » comme dit Jonasz… c’est très décalé , mais c’est un bel assassinat..