Rétro facho gaucho
Ne jamais regarder dans le rétroviseur, c’est dangereux, surtout à la vitesse où notre monde se précipite. Je vous propose donc deux étapes, pas si lointaines, de notre histoire, avec deux parutions en double CD de chez EPM. Commençons, pour vous mettre tout de suite dans le bain, par la plus éloignée dans le temps et par le second CD de l’album.
Quelques extraits d’émissions radiophoniques. En mars 1940, Paul Reynaud appelle à Vaincre l’ennemi ; le 16 juin, le maréchal Pétain bredouille qu’il demande l’armistice ; le18 juin : « La France a perdu une bataille… » la voix de De Gaulle, voilée par la technique rudimentaire de l’époque, mais authentique et déterminée. Les extraits de discours de Joseph Darnand et Pierre Laval puis celles d’André Philip et du général Leclerc sont des documents essentiels.
Les chansons reflètent davantage le quotidien de la population sous le joug des nazis, avec sa soumission imposée, ses espoirs, vrais ou faux, et ses élans patriotiques lorsque la Libération arrive. Maréchal nous voilà est l’exemple type de la chanson asservie, soumise à l’occupant et au vieillard providentiel. André Dassary chante Semons le Grain de la Lumière, Robert Jeantet ose un Debout la France avec ces vers édifiants :
Oui, quand le soir descend sur vous
Priez et chantez à genoux !
Et puis, toutes ces chansons, plutôt figue ou plutôt raisin et parfois entre les deux, ont des titres évocateurs : Une Lettre de France, Espoir, Compagnons dormez-vous ? Ceux des Maquis… On entend Maurice Chevalier, Charles Trenet, Jean Lumière, André Claveau, se voulant rassurants et porteurs d’espoir, souvent ambigus, sans grand risque. Georges Milton se fait joyeux : « Nous les Français / On ne se fait pas d’bile… ! » Plus tard, en 1945, d’autres voix entonnent Le Chant des Partisans, Pierre Nougaro, le papa de Claude, chante la Marche de la 2e DB.
Sur le premier CD, outre l’intérêt documentaire, le régal vient de l’humour pimenté de Pierre Dac. Réfugié à Londres, le loufoque futur complice de Francis Blanche entame en 1943, dans une tranche destinées aux Français et appelée Radio-Londres, une série d’émissions sur la BBC, faites de sketches et de chansons détournées. Il attaque Hitler et les nazis et également Pétain, Laval, Darnand et surtout Philippe Henriot, le propagandiste de Vichy. Parodiant le succès de Maurice Chevalier, D’excellents Français, il égratigne le chanteur qui, jusqu’en 1942, anima une émission grassement rémunérée sur Radio-Paris. Sur l’air de la sonnerie de clairon du Réveil, donne ce conseil avisé au führer :
Hitler débin’toi, Hitler débin’toi
Hitler débin’toi bien vite !
On rit toujours des Gars de la Vermine sur l’air des Gars de la Marine, et de l’inénarrable De profundis Hitleribus !
Le second coffret est plus une approche de l’esprit de mai 1968 qu’un document historique. Le premier CD associe astucieusement 24 slogans choisis parmi les multiples expressions qui faisaient vivre les murs et 24 chansons antérieures annonçant déjà les idées fortes qui fleuriront en mai. On trouve, entre autres, des chansons de Boris Vian, Jean-Roger Caussimon, Jacques Prévert, Jean-Paul Sartre, Benjamin Peret, Aimé Césaire, Léo Ferré, Jean Richepin avec leurs voix ou celles d’une douzaine d’interprètes, dont Juliette Gréco, Les Frères Jacques, Michèle Bernard, Bernard Ascal, Marc Robine…
Il est intéressant de constater que l’explosion libératoire de la jeunesse, ce printemps-là, n’a pas jailli de nulle part, mais que ses racines se nourrissaient de chansons que les parents et grands-parents des jeunes « enragés » chantaient déjà. « Il fallait, dit Bernard Ascal dans le livret d’introduction, rompre avec la trilogie métro-boulot-dodo , fuir les valeurs bourgeoises de possession, de pouvoir et de hiérarchie (…) ;échapper au flot moutonnier pour inventer sa propre existence, (…) renouer avec la nature et ses rythmes élémentaires. »
Enfin, le second CD réédite un 33 tours sorti en 1974, Pour en finir avec le Travail, constitué de chansons transformées en particulier par Guy Debord et Jacques Le Glou. Ces chansons pseudo-révolutionnaires jouant sur l’outrance verbale et la mystification jusque dans les notices d’accompagnement, apportent une sorte de défoulement jubilatoire, qui prolonge l’esprit de 68. La Bicyclette d’Yves Montand se métamorphose en Mitraillette :
On se disait c’est pour demain
Qu’on la f’rait claquer dans nos mains
La mitraillette
Le succès de Dutronc Il est Cinq Heures est traité de même :
Les 403 sont renversées
La grève sauvage est générale
Les Ford finissent de brûler
Les Enragés ouvrent le bal
Il est cinq heures
Paris s’éveille
Les Feuilles mortes de Prévert devient Les Bureaucrates se ramassent à la Pelle.
Les neuf chansons sont interprétés par Jacques Marchais, qui enregistra dans les années soixante plusieurs disques de chansons poétiques ou de poèmes mis en musique, et par Vanessa Hachloum, pseudonyme de Jacqueline Danno, autre interprète et comédienne talentueuse. Les arrangements musicaux sont de Michel Devy.
Ce double album casse le stéréotype du mouvement spontané, ponctuel de mai 68, en le traitant à la fois en amont et en aval.
J’ai volontairement établi un rapport parallèle avec le précédent sur 39-45, non dans le fond, mais dans la forme. Dans les deux cas un CD sérieux fait appel à notre réflexion, pour appréhender au mieux une époque et son contexte, l’autre CD apportant avec ses pastiches l’indispensable détente que la gravité du sujet impose.
39-45, Pierre Dac chante à Londres, Les Autres à Paris. EPM 2014 (CD1 Londres, les chansons de Pierre Dac, de novembre 1943 à juin 1944 : CD2 Paris, chansons et documents historiques [discours et allocutions radiodiffusées]).
Mai 68, EPM 2014 (CD1 24 slogans… 24 chansons ; CD2 Pour en finir avec le travail, les chansons radicales de Mai 68).
On entend souvent des raccourcis abrupts sur certains chanteurs des années 40-45, par exemple Trenet, qui a été d’abord suspecté de résistance larvée en 42, avec Douce France (quand on le disait juif Netter) et puis en 45 cette même chanson lui a valu d’être accusé de pétainisme… Etonnant, non ? Maurice Chevalier aussi a été au centre de débats divers, mais si j’ai bonne mémoire sa femme et sa famille étaient juifs, et il a réussi à les protéger…
Et Trenet sollicité pour une tournée en Allemagne s’est appliqué à mettre une tel bordel dans l’organisation que la tournée a été interrompue… Pas sérieux ce français …
Décryptage et remise en perspective des faits ici: : « Jazz et société sous l’Occupation » par Régnier Gérard, Paris, L’Harmattan, 2009.
Je suis d’accord avec Norbert. Il convient de prendre le recul suffisant pour observer cette période… sensible.
Est-il raisonnable de juger aujourd’hui les actes et les attitudes de ceux qui ont subi l’invasion allemande et la fin de leurs illusions en 1940, à moins qu’ils n’aient du sang sur les mains ?
Chevalier, en particulier, n’a pas chanté « Maréchal nous voilà » et quand bien même, on ne résume pas la vie d’un personnage à une erreur de parcours. On peut lui reprocher sa naïveté, son manque de jugeote, même son opportunisme, mais si on devait fusiller pour ça, il resterait peu de monde ! Pierre Dac est lui-même intervenu pour défendre Chevalier en 45.
Des épurations naissent souvent les pires injustices. « Les braves sans-culott´s et les bonnets phrygiens » et « les coupeurs de cheveux en quatre » ne valent généralement pas beaucoup mieux que leurs anciens oppresseurs, ils ont simplement la chance d’être dans le camp des vainqueurs.
De soi-disant champions de la démocratie ont armé les djihadistes contre l’oppresseur soviétique ! Qui voudrait donner des leçons à qui ?
De cette époque, il y a eu la honte des femmes tondues ! elles aussi ont été humiliées … mais c’était juste un peu après la libération, je crois ! Odette ESTORGUES que connait bien Michel TRIHOREAU a écrit un roman à ce sujet !
Odette Laplaze-Estorgues : LA RECLUSE – Editions Lucien Souny, Le Puy Fraud, 87260 Saint-Paul.