Gil Chovet : le gaga sans peine et dans la joie
Gil Chovet, « Les chansons du Grand Coissou », Le Sou de La Talaudière (42), 6 septembre 2014,
Vous êtes lecteurs de tout l’Hexagone, de Suisse et de Belgique. Du Québec aussi. Et de partout dans le monde où se niche la diaspora des amateurs de chansons d’expression française. Et nous voici à vous entretenir d’un microcosme très localisé : le gaga. Qui n’est pas, incultes, la langue de la Lady éponyme, ni de ses fans. Qui n’est point sénile non plus. Ni entiché ni gâteux, simplement stéphanois !
Malgré sa paradoxale discrétion, on connaît Gil Chovet pour son répertoire jeune public. Il fut même Cœur Chorus pour sa Balade en parasol, ce qui n’est pas rien. Ses proches savent aussi quelques unes de ses chansons échappant à ce répertoire, délicieuses, mais qu’il ne réserve justement qu’à ses proches.
Pour ce rendez-vous scénique à La Talaudière, il s’est mis cet été à écrire de nouvelles chansons. Surprise. En une structure qui fait songer à la chanson pour enfants, Gil Chovet réactive notre mémoire en exhumant des mots enfouis en nous, du parler gaga. De Saint-Etienne donc. Des mots pour la plupart de nous insolites, presque incongrus, énigmatiques et magiques. Un mot pour une chanson, chaque fois une quasi devinette : de quoi nous entretient-il ? De boutasse, de benon, de ratapenas, de patère… « qu’il serait dommage de déprofiter. » « Ce sont des mots d’ici, pour certains oubliés, qui ont bercé toute mon enfance stéphanoise. Il ne s’agissait pas de faire des chansons en gaga intégral, qui ne seraient compréhensibles qu’aux initiés, mais d’introduire ces mots particuliers dans une chanson en bon français : une sorte d’enrichissement linguistique en quelque sorte. » Du « gaga » pour les nuls qui peut éveiller les jeunes au patrimoine local et séculier et peut réveiller la machine à souvenirs, à émotions.
Par Gil Chovet, c’est de la chanson pour enfants (à l’origine, ça leur était destiné) de sept mois à cent-sept ans, création contemporaine tant pour cour d’écoles que pour hospices de vieux. Et pour tout ceux qui se situent entre les deux. Et c’est simplement remarquable. Remarquable car riche de superbes mélodies, car simple comme bonjour, immédiatement mémorisable. « Faisons des corbicines / Roulons-nous dans les prés / C’est bon pour la santé », « Oh ! Y’a des canards dans la boutasse (des grenouilles, des salamandres, des hérons…) », « Quand je mangerai les barabans par la racine / Quand je retournerai d’où je viens /Est-ce que je retrouverai les copains et les copines / Qui avant moi ont fait leur chemin ? », « Tant qu’il y aura d’l'eau dans l’benon / Y’a pas à s’faire du mouron »…
Remarquable duo de guitares entre Gil Chovet et Jean-Christophe Treille (basse acoustique), tant que le récital a commencé par un instrumental en prime et intéressante gourmandise. Eux deux sont capables de tout explorer, même un somptueux blues-rock que l’aqueu Johnny ne saurait égaler.
La corbicine, la gandouze, fouilla !, le babet, le babaud, le coissou, les barabans… Que des mots à la singulière sonorité qui chaque fois ouvrent des portes d’où surgissent les odeurs d’un passé qui n’est plus, même et jusque dans ses mots.
Le coissou (cadet) qu’il est fait œuvre mémoriale, d’utilité publique. Fasse qu’il aille bien au-delà de ces premiers onze mots et nous fasse in fine l’amitié et le bonheur de nous en sortir un disque, un qu’on aura plaisir à souvent poser sur la platine, qu’on soit de Sainté ou d’ailleurs.
Le site de Gil Chovet, c’est ici.
Pas de vidéo hélas sur ce répertoire si neuf. Par défaut mais avec plaisir, en voici une, toute courte et joliment animée, d’un autre. Ça nous met sur la voix de Gil Chovet. Ça parle de crapauds crapotes, c’est dire si ça nous parle…
Quel régal, Michel, de nous faire partager un peu de cette langue de chez toi !
II fut un temps – bien reculé certes ! – où nos patois, dialectes et autres avatars d’un latin véhiculé au gré des chemins vicinaux, à la cadence d’un trot de cheval, se coudoyaient gentiment et l’oeuvre de Rabelais en est truffée pour en témoigner encore au XVIème siècle !! Il fut un temps où la langue écrite se permettait bien des usages, où la rigidité d’un siècle dit « classique » n’avait pas encore fait ses ravages et donné – encore aujourd’hui hélas – à certains la bêtise de se gausser de fôtes d’ortografe en faisant fi du contenu.
J’aime ta chronique qui évoque ce savoureux gaga de ta « petite patrie » ! Merci pour ce moment de lecture joyeuse !
Patrie d’adoption, mais terre de mes enfants qui en sauront un tout petit peu plus sur le parler stéphanois. Et qui ont adoré ce spectacle.
Je constate que de Saint-Etienne à Lyon, il y a des mots communs mais qui n’ont pas tout-à-fait le même sens, à Pierre-Bénite, la gandouze, c’était la merde, une sorte de mot valise avec gadoue et bouse… ça sonne mieux que ça sent, la gandouse…
Dans cette région, le Forez, c’est très riche, le patois est nourri de langue d’oil, de langue d’oc, et de franco provençal, les trois langues avaient des frontières qui se rejoignaient dans le Nord Forez…
Gil Chovet, génie modeste.
« dans la joie », oui, c’est réjouissant de constater que nos parlers d’avant le français perdurent dans le français régional, et on retrouve aussi quelques expressions du parler gaga en Auvergne, comme manger les barabans par la racine, tâcher moyen, faire quatre heures…
Gilles est un bel artiste, un bel art-tissant…
« Facilitateur de projets d’un enthousiasme rare, Jean Navrot était l’un des derniers géants, sinon le dernier, de cet âge d’or de la culture stéphanoise ».
Oui, je le reconnais bien dans cette description. J’ajouterais ses nombreuses contributions, avec ses amis du GRAC, aux productions de Jean Andersson : Fête du Livre de Saint-Etienne, de Roisey, « L’invité d’un soir » à la Jasserie du Pilat entre autres.
Jean était un homme d’une grande dignité, ouvert aux autres, chaleureux, souriant en même temps que discret – voire secret – quant à sa vie personnelle, éminemment respectueux des artistes (ce dont je peux témoigner tant nombreuses ont été les occasions de me mettre « le pieds à l’étrier » à mes débuts. Je dois au travail du GRAC nombre de mes premières scènes). Rassembleur, entre-mêleur d’artistes du monde amateur et professionnel, on ne pouvait que répondre « présent » lorsqu’il nous sollicitait, parce qu’on était certain de travailler dans le sourire, la bienveillance, l’intelligence.
J’aimais cet homme, cet ami, ce défricheur. Merci à « Nos Enchanteurs » pour cet article à sa mémoire.