Barjac 2014 : Entre 2 Caisses, l’Allain et l’père Youssef
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On ne sait vraiment d’où ils nous viennent. Ni quand on est. Eux sont les gardiens du Musée des gens du temps d’avant. Et nous narrent une journée même pas particulière, celle de comment on vivait alors. Entre 1954 et 2011. Comment on se conduisait, comment on s’habillait, comment on aimait… Une époque forcément lointaine, étrange, grotesque presque, où on se raillait de la poésie. Où un grand poète pouvait traverser la rue comme la vie : inaperçu. Où on pouvait laisser dormir les gens dans la rue par grand froid : tout aussi inaperçus. Nous serions à Ivry, entre vieux moulin et métro Pierre et Marie Curie. Là, la statue de Maurice Thorez, plus loin le café « Chez Youssef et » : sa femme s’est barrée et Youssef a effacé le prénom de l’impie sur l’enseigne. Depuis il n’a plus toute sa raison sociale. Dans l’temps il y avait des clapiers un peu de partout, que visitait narquois le père La Pouille aux odeurs de peaux d’lapins : c’était ça ou la rue. On parlait sans se parler, en formules automatiques, calibrées, banalisées : « Y’a des coups d’cœur qui se perdent / Derrière les barreaux des proverbes. » Un pouilleux et un poète, bel attelage sans âge que voilà. Ce dernier écrivait des chansons, qu’il chantait. Il en donnait aussi, en semant à tout vent comme la rousse du dico. Comme ils le feraient d’un tableau, nos gardiens du Musée d’avant nous font écouter, revivre, ces chansons. Avec des vers qui parfois s’affranchissent de l’alexandrin mais se gorgent de vie et d’émotion à la manière de gourmandes éponges.
Jean-Michel Mouron, Dominique Bouchery, Gilles Raymond et Bruno Martins (les gardiens, la muséographe étant la dive et enivrante Juliette) ont imaginé ce spectacle pour tout le monde, y compris et surtout pour les enfants (c’est dommage, on a oublié de s’en faire livrer hier au soir). Avec non des chansons gamines mais la fleur de sel de celles du poète. Des vraies, des grandes, avec des morceaux de gros mots et des grumeaux à l’intérieur. C’est beau. Dire qu’à l’époque, on n’écoutait pas. Ou alors sous le manteau, sous la radio. Maintenant on sait qui est ce poète, on le célèbre même… Les temps changent, les gens du temps d’alors n‘étaient pas civilisés et les poètes avaient un train et deux métros d’avance. Avec respect et amusement, nos quatre gardiens, ces Entre 2 Caisses-là, font revivre cet auteur pour qui grouillaient les vers et s’en remplissaient d’autres. Ça grouille encore, c’est fou : ça vit. Allez j’vous laisse : en ce moment, le poète (Alain Leprest, 1954-2011) et le père La Pouille doivent jouer aux dés chez l’père Youssef.
Le site d’Entre 2 Caisses, c’est là (cet article a été précédemment publié en début 2013, lors de la représentation de ce spectacle au Festival Voix d’hiver de Gauchy).
» le père La Pouille aux odeurs de peaux d’lapins » , il y en avait un à Volvic , on l’appelait le pelharo , il passait ramasser les peaux de lapins pour quelques sous en criant dans les rues : pelharo ! pelharo ! . Eh oui, ça grouille de souvenirs Entre 2 caisses .