De l’universalité réduite à sa plus simple expression, de la sonnerie et de la trébucherie conjuguées, grandeur concomittente d’Allah et de Chantal Goya
par Michel Boutet (chronique proposée le 2 octobre 2013 aux auditeurs de l’émission « On est là pour voir le défilé », sur Radio G (101.5 à Angers) qui recevait, ce jour-là, Jacques Bertin)
Dans le débat qui m’oppose à moi-même sur l’état de la chanson française, plusieurs questions me tarabustent dès qu’elles ont cessé de me turlupiner. C’est vous dire si je vole souvent dans des zones de turbulences !
Une de ces questions est la suivante : la chanson française, qu’on nomme ainsi depuis qu’on veut la contraindre à une certaine réserve, comme disent les Sioux et les Comanches, la chanson française, donc, survivra t’elle à Philippe Val et ses nombreux clones qui président aux destinées de la radiophonie dans notre beau pays de France ?
J’ai déjà eu l’occasion d’exprimer ici mon agacement à propos de ces thuriféraires zélés d’une chanson de variété qui ne varie jamais quant à son seul intérêt : celui pour le pognon.
J’ai déjà dénoncé leur dévotion douteuse à l’endroit d’une langue, superbe à bien des égards, mais qui, pour le sujet qui nous occupe, la chanson, est surtout la langue archi-dominante, la langue universelle à un point tel que ça fleure bon le colonialisme le plus indécent. Accessoirement, c’est aussi la langue du business.
J’ai, par ailleurs, déjà dit ici combien je vénérais cette langue chère à Shakespeare quand elle était défendue par des gens qui savent la parler, l’écrire, la chanter, pour en faire de la poésie, de la musique. Et pas seulement du dollar.
S’énerver tout seul dans son coin est une forme d’onanisme dont je crains qu’il ne me rende un peu plus sourd que je ne le suis à force d’écouter ces antennes qui me cassent les oreilles. «Calme-toi, mon Michel ! » que je me suis dit. « Et écoute un peu leurs arguments. »
Parce que ça a des arguments, ces engeances-là. Par exemple, après s’être gaussé de la ringardise de ceux qui ne pensent pas comme eux, ça peut pérorer longtemps sur la nécessité qu’il y a à s’ouvrir aux artistes étrangers, aux musiques du monde, aux arts populaires dans leur universalité.
Et c’est là que nous découvrons que « universel » se dit « anglophone » en langue moderne. Puisqu’au nom de cette ouverture, ils ne leur viendraient pas à l’idée de nous proposer des chansons en russe, en chinois, en langue khoï, en bekwel, en ju’hoan, ou en patois poitevin !
Et savez-vous pourquoi, chers amis ? Eh bien, c’est pour une raison incontournable, une évidence aveuglante, une vérité enfin révélée qui est celle-ci : l’anglais, ça sonne !
« L’anglais, ça sonne ! » mérite une place de choix dans le dictionnaire des poncifs. Ça tient son rang face à : « L’accent québécois est pittoresque !». Ça peut côtoyer sans rougir : « L’allemand est guttural !». Et ça pourrait faire trembler : « Le mandarin est complexe dans ses tonalités ! ».
Et dans la bouche, sinon dans la pensée, de ces décideurs éclairés, le corollaire de « L’anglais, ça sonne !», c’est « Le français, ça ne sonne pas ! »
Et je suis bien heureux de vous l’apprendre, mon cher Monsieur Bertin. Car cela fait quarante ans que vous ne tenez aucun compte de cette vérité quasi biblique : le français, ça ne sonne pas ! Cela fait quarante ans que vous vivez dans l’obscurantisme en vous acharnant à faire chansonner des mots dont on vous dit qu’ils ne chansonneront jamais ! En quelle langue faut-il vous le dire ?…
En quelle langue faut-il vous le dire qu’il faut que vous chantiez en anglais ? Ressaisissez-vous, Monsieur Bertin, si vous voulez pouvoir fréquenter un jour Didier Varrod et André Manoukian, ces experts auto-proclamés en chanson audible et inaudible.
Allez, Monsieur Jacques, je vous le dis en toute amitié : passez à l’anglais, comme on passe à l’ennemi, ou alors passez votre chemin !
Et à l’occasion, transmettez le message à tous ces ignorants qui se commettent depuis des lustres dans des chansons « qui ne sonnent pas » : Aznavour et son « Feutre taupé », Charles Trénet, Francis Blanche et leur « Débit de l’eau, débit de lait », Serge Gainsbourg et ses « Goémons », Claude Nougaro et l’ensemble de son œuvre, Michel Jonasz quand il chante « Doucement ». Et pour ne pas humilier plus que de raison leur famille, j’éviterai de m’étendre sur les cas indéfendables de Messieurs Arno, Laffaille, Tomislav, Niobé, Gary, Morel (Gérard et François) et autres Desjardins ! Je n’oublie pas la gent féminine… dont je ne peux que dénoncer le penchant coupable pour la langue française. N’est-ce pas, Mesdames Sylvestre, Bernard, Pestel, Solleville et autres Juliette ?
Pour conclure, Monsieur Bertin, permettez-moi de revenir à vous et de dire aux auditeurs qui nous auditent que, en 1980, vous aviez fait un effort louable, le seul à ma connaissance, pour vous rapprocher de la langue de Madonna, avec une chansonnette de la plus belle eau qui se nommait « Goût d’ail » et dont le souvenir devrait vous inciter à poursuivre : « I don’t know where i’m taking you, where we’ll get to !… » Ça t’a quand même une autre gueule !…
Et c’est ainsi qu’Allah est grand et que Jean-Jacques est debout !
On peut aussi ajouter Nino Ferrer qui a bien fait sonner la langue de chez nous, autant avec des chansons gags qu’avec des textes très élaborés. Et même patriotiques…
http://www.youtube.com/watch?v=vYDmTZ_LjlY
Et bien, j’ai bien rigolé. Merci Monsieur Boutet.
Et vive la langue à nous, celle-là, ils ne nous la piqueront pas !!
« Sur mon chemin de mots
J´en ai vu de si beaux
Que j´en délire
Sur mon chemin de mots
J´en ai vu de si beaux
Que je ne saurais dire… » (Anne Sylvestre)
Merci, Michel, pour ces pertinentes paroles qui, publiées ici, font l’effet d’une piqûre de rappel ; or, si tout a déjà été dit je crois, au moins dans les grandes lignes, sur ce vaste sujet, et c’est sans doute le cas chez Nos Enchanteurs, toute nouvelle contribution enrichit pourtant le débat. Et c’est le cas avec ta formulation qui ne manque ni d’originalité ni de piquant !
Cet argument, “le français ne sonne pas”, a toute l’allure d’un Bon Mot Creux destiné à briller en société, de ce quelque chose qu’on dit pour faire de l’épate quand on n’a rien à dire.
J’aime la langue de Shakespeare, qui est aussi celle de John Lennon, des Beatles, de Simon et Garfunkel et de plein d’autres que je peux avoir très grand plaisir à écouter (mais je ne suis une inconditionnelle d’aucun d’entre eux) et j’ai même pas honte de citer des grands noms du show-biz, à cause de certaines de leurs productions qui me font planer : c’est pas parce qu’on est dans l’industrie du disque qu’on est mauvais. Mais j’aime aussi d’autres langues, chacune a sa propre saveur, chacune a sa façon de sonner. Je ne connais aucun idiome que je ne désirerais pas entendre, dont je ne voudrais pas écouter les particularités : j’adore la musique que représente pour moi une langue dont j’ignore tout. Mais l’approche en est différente car j’accorde aussi une grande importance au texte. Il me faut trouver la traduction d’un texte s’il m’intéresse. Je peux donc dire que je m’intéresse à la chanson “à textes” plutôt qu’à la chanson “francophone”.
Je n’ai pas terminé : merci aussi, Michel, de m’avoir fait découvrir ce bijou de Jacques Bertin, à savourer sans modération, “goût d’ail”. On le trouve ici :
http://www.youtube.com/watch?v=GoZRcALpt6w
Et je n’ai trouvé malheureusement qu’un extrait de ce texte délicat :
« Ail,
Goût d’ail, goût d’ail,
Sale ail,
Goût d’ail dans c’t'Illyouchine,
goût d’ail,
Sale ail,
Où est l’ail ?
Où est l’sale ail ?
Est-ce l’hôtesse ou l’thé qu’elle donne ?
Est-ce la digne si coite matrone
Qu’a les moules ? Ou est-ce l’haleine
De c’toubib oisif
Qui traque l’oubli où ? »
La suite, je l’ai transcrite comme j’ai pu, mal, je sais :
« ouais goût d’ail ail fort
sale ail
ou p’têt’ t’est-ce que le goût d’ail émane
de la miss ana qui couine
ou celle qui youe
de ce type qu’a la gale qu’a la gale
qu’aime l’ail
sale goût d’ail goût d’ail fort
goût d’ail doux
goût d’ail dit
goût d’ail doux
qui dit goût d’ail itou
si t’attises l’ail qu’hésite
si t’allumes l’ail tout pète »
Là, il m’en manque un gros paquet, d’ail, et la fin, la voilà :
« c’est qu’c’est pas gout d’ail qui s’dit mais odeur d’ail
o-o-deur d’ail »
J’ai presque fini cette fois : je ne te connaissais que de nom, Michel, et j’ai eu le privilège et l’immense plaisir de t’ouir sur la scène de Bourg en Bresse lors de la fameuse Jubilation de Rémi-Rémo. Tu ne perds rien pour attendre, je te retrouverai quand l’occasion se présentera, et de nouveau j’aurai un très grand plaisir à faire partie de ton public.
Merci pour cette chronique aux mots sonnants mais pas trébuchants . Et vive les belles chansons dans toutes les langues, celle que j’entends le mieux étant le français .