Jubilatoire : Rémo Gary au Panthéon !
« En route, allons les gâs ! / Jetons nos vieux sabots / Marchons / Marchons / En des sillons plus larges et plus beaux ! » (Gaston Couté, La Paysanne)
La Jubilation, Théâtre de Bourg-en-Bresse, 13 octobre 2013,
Comment vous dire ? Comment tenter de restituer le déroulement et l’esprit de ce spectacle hors norme, « illégal », de travailleurs du dimanche, d’intermittents de gauche, à l’entrée libre et « la sortie bien moins sûre », dans un théâtre burgien qui fut, une après-midi durant, l’épicentre d’une chanson de parole et d’engagement, drainant un public venu parfois de loin, de très loin. Et qui a vécu un de ces (rares) moments dont on ne se remet pas, qui hantera dans dix ans, dans vingt ans encore les mémoires et nourrira d’abondance les discussions. Un concert ? Vous n’y êtes pas. De toute façon, sauf à avoir été un de ces privilégiés, vous n’y étiez pas. « Ce n’est pas un spectacle. C’est un défilé, presque une manifestation. » Ça, c’est Gary qui le dit.
Rémo Gary a célébré ses soixante ans et, sans nullement battre en retraite, la fête : c’est sa Jubilation. S’il bat, c’est la peau du tambour, tannée par les pavés, en haut des barricades. S’il bat, c’est qu’il combat. On ne peut évoquer cette scène-là sans en donner le la. Le la est politique, précis, pressé. Pas de cette gauche molle, flasque mais adroite, non… Si le week-end prochain, en cette même ville, le facteur Besancenot vient faire la première partie de Rémo Gary et de Michel Boutet, ce n’est sans doute pas totalement fortuit.
C’est ça. C’est aussi de l’amitié. De l’amour. Rarement ce fut plus évident. Bien sûr il en manquait des copains sur scène mais la scène était trop petite. Et le temps compté.
C’est une fête. Mais pas un truc fait sur le pouce, à la bonne franquette. Non, tout y fut précis, pensé, travaillé, répété, sublimé. Ça nous changeait de spectacles collectifs parfois bâclés.
Deux, trois chansons par tête de pipe, par tête d’artiste. En un choix qui ne laisse pas la place au doute. Pour Francesca Solleville, ce fut sa première, un texte d’Aragon, d’il y a… jadis : « Nous étions faits pour être libres… » Pour Véronique Pestel Vanina, pour Michèle Bernard Quatre-vingt beaux chevaux, pour Anne Sylvestre Une sorcière comme les autres… Des mots qui ne sonnent pas pour rien. De la chanson engagée dira-t-on. Ben oui. Et drôlement engageante qui plus est ! Si Ridan et Cyril Mokaiesh ont besoin de renfort de calicots, de bonnet phrygien et de drapeaux rouges pour illustrer leurs chansons, eux, ceux d’hier à Bourg-en-Bresse, n’ont besoin de rien pour mettre en valeur le pourpre de leurs mots, la sang couleur cerise, la révolte autant que la dignité.
On ne peut toutes les citer ici, ces chansons, ces interventions. Ce ne fut ni concours ni Gary-crochet. Tout, tout fut excellent. Christian Camerlynck, acteur et chanteur, qui fait les deux, prodigieux, Yvan Dautin en avisé et subtil politologue, Frédéric Bobin et ses chansons sociales aux notes amplifiées, Hélène Maurice et par elle Beaucarne, Couté et Leprest, l’indignation de Michel Bühler, l’efficace simplicité de Michel Boutet, la délirante conférence écolo de Luc Garraud qui écoute pousser les pioches et sortir de terre les guitares, l’Harmonie de Bourg toute entière derrière Gary… Une collection de moments tous plus forts les uns que les autres, un collier de perles, cadeau d’anniversaire et de départ en retraite…
Tiens, là… Anne chante. Du beau, du profond, du Sylvestre donc. Et les pianistes piaffent qui, tous, veulent l’accompagner, se chamaillent, se piffent, se paffent, se foutent des blanches, s’envoient des noires. Joël Clément, Clélia Bressat-Blum et Nathalie Fortin se partagent en une indescriptible et irrésistible pagaille le clavier. Viennent Véronique Pestel et Jeanne Garraud, se joindre à la cacophonie, revendiquant chacun ses touches, sa part de clavier. Et Sylvestre, stoïque, de toujours chanter en une scène digne des Marx brothers et marxsites sisters.
Quatre heures durant, tous se succèdent en un spectacle, une révolution sans temps mort, avec un Gary au mieux de sa forme, au faite de sa carrière, un Gary plus Grant que jamais, incontestable star qui jubile. Comme ses copines et copains sur scène, comme nous dans cette salle bondée et debout, à reprendre tous ensemble cette Paysanne de Couté qui, là, a plus de poids que cent Marseillaise, que mille Internationale. On a beau perdre élection après élection, on a beau être humiliés par ces socialistes au pouvoir, dites, c’est quand même nous qui, de Couté à Potier, de Sylvestre à Gary, avons les plus belles chansons…
Me croirez-vous ? après le spectacle, on a arrosé ça au rouge. Quand on a quitté le théâtre, nos yeux jubilaient, nous étions heureux.
Pas encore de vidéo de cette Jubilation, on s’en console par ce reportage… http://www.dailymotion.com/video/xdj14m
Hélas ! je n’y étais pas, non, mais c’est bien là où j’aurais aimé être, pour partager cette jubilation , avec tous ces gens dont je partage la folle mais si belle utopie , et un canon de rouge , voire un communard , ça ne me fais pas peur ! et bienvenue au club des « sexygénaires » à Rémo Gary .
J’y étais. J’ai eu l’immense chance, l’immense privilège d’en être. Oui, un grand moment d’amour, d’amitié, de partage qui restera gravé dans nos mémoires. Merci Rémo, merci à tous.
J’ai le sentiment d’avoir manqué l’événement de la décennie …pour le moins ! Mais hélas, parfois, la France, si petite pourtant … est encore trop grande à traverser !!
Juste quelques mots Michel pour te dire aussi que parmi tes si nombreuses chroniques, un paragraphe au moins pourra rester un morceau d’anthologie … le « combat » pour accompagner Anne… !! Allez je m’en vais animer ma séance hebdomadaire d’atelier …d’écriture ! Quelle « jubilation », décidément !!
Si Luc Garraud sème des pioches et des guitares, c’est bien le mot jubiler qui a été semé profondément dimanche dernier par Rémo et tous ceux qui partageaient la scène… de quoi faire jubiler le parterre et le poulailler. Et j’aime à penser que chacun, repartant avec sa graine jubilationnaire, peut aussi la semer à tous vents…
Un Grand Grand Monsieur de la Chanson
Superbe papier, et à n’en pas douter superbe soirée lorsque l’on fait la liste des artistes présents… Le rêve…
Félicitations également à Michel KEMPER pour ce blog sur la chanson, la vraie bien sur…
J’étais à cette fameuse jubilation parce que Rémo a commencé à l’annoncer un an en avance. En me baladant de temps en temps sur son site, je ne pouvais manquer l’info, et je fus des premières à réserver ma place.
Un tonnerre d’applaudissements salue Rémo qui ne peut même pas se faire entendre : son public est conquis d’avance.
Et c’est Rémo qui « ouvre » cette carte blanche ou de couleur : il sera dit, durant ces quatre heures de spectacle, qu’elle est bien teintée, cette carte blanche. C’est lui qui terminera, et je ne dirai pas par quel texte : je l’avais déjà vu sur scène commencer et terminer par ces deux petits bijoux, des textes bien ciselés qui, par sa voix et par son corps tout entier prennent une intensité remarquable – quand on connaît un peu Rémo, on n’en est même plus surpris…
Pour plus de précision, non, le concert ne s’est pas terminé sur la dernière chanson de Rémo, il s’est terminé avec le public debout reprenant le refrain de « la Paysanne », comme tu l’as dit Michel, pendant que sur scène la plus que vingtaine d’artistes chante les couplets.
Et le tout, pas fait sur le pouce, tu l’as dit aussi : pendant l’entracte la répétition continuait ! Mais pour quel beau résultat !
Moi aussi j’ai adoré la dispute pianistique et toutes ces mains qui volaient, se poussaient, se croisaient… sans fausse note !
Comme ils font partie des moins connus, je salue ici Brigitte Mercier et Valérie Guillon pour une prestation théâtrale remarquable sur un texte écrit par Rimbaud à 15 ans – déjà tout petit… Chapeau, les artistes ! Quant à Olivier Neveux, je pleurerais pour retrouver le texte qu’il a dit, superbe !
Une petite, toute petite consolation pour les absents de ce spectacle : le DVD Tranches de Scènes numéro 10 autour de Michèle Bernard, où celle-ci chante avec Rémo « ce qu’ensemble on a vu », et seule elle interprète « Je t’aime ». Des chansons qui furent interprétées ce dimanche, et le seront à nouveau, c’est obligé !
Rémo a la soixantaine jubilante ! On lui souhaite bien d’autres décennies de la même eau ou du même tabac…