Only french 2012 : la fine fleur de la francophonie

La salle n’est pas bien grande, à l’ombre d’une Cigale bien plus vaste qu’elle. Nous sommes à la Boule d’or, station Pigalle. Là se déroulent deux des soirées du Only French, 18^e du nom, un de ceux qui sont depuis longtemps entrés en résistance : rien que l’intitulé vaut profession de foi. Quatre francophones au programme de ce jeudi : on commence par Scotch et Sofa.

En presque chemise de nuit, pieds nus, fleur blanche dans les cheveux, c’est Sofa (Chloé Monin) qui tient le micro. C’est elle l’énergie, rythmique et paroles. Ça rythm’n’blues et ça swingue, ça jazze. Et c’est bon. Elle chante doucement d’une voix résolue. Des mots d’impressions, d’odeurs et de couleurs, des mots tactiles qui touchent les sentiments. Scotch (Romain Preuss), lui, fait crisser la guitare à huit cordes sous ses doigts. Et assure les bruits de bouche, remarquable beatboxer qu’il est. C’est dépouillé comme le tenue de Sofa, presque virginal. Il n’y a guère mieux pour entrer en une telle soirée, en douceur autant qu’en passion… NosEnchanteurs vous avait déjà entretenu de la seule Sofa : c’est ici.

Vient le Toulis, l’ex des Escrocs, pour ceux qui ont connu. Parler de Toulis c’est lui consacrer par principe plusieurs feuillets tant il y aurait à dire : que de bonne choses on vous rassure. C’est pourquoi nous y reviendrons bientôt, histoire de chroniquer son nouvel et quatrième album même pas encore sorti. Éric Toulis est un ouragan : là où il passe on le sait, suffit de regarder la tronche des gens, tous ravis, presque aux larmes. Qui tous sont passés du plus bel éclat de rire au rire jaune, grinçant, amer. Car Toulis va d’un sujet l’autre, du drôle (comme son PCF à lui, le Pampers Club de France) au tragique (La java du caniveau, ou comment on devient sdf en moins de six mois…), sans bien prévenir. Le souffle coupé du rire du précédent et vous voici dans l’ignoble de notre monde, à vous en prendre plein la gueule. Avec pour fil conducteur un artiste incroyable, haut en couleurs, complet (il fait tout, même le reggae et les bruitages). On y revient vous dis-je, mais préparez-vous au choc si d’aventure, par ignorance ou par pure distraction, vous ne le connaissiez pas encore… Sur Toulis à lire dans NosEnchanteurs.

Voici Mell, élégante rockeuse de son état, au visage barré d’un trait noir, comme si elle venait d’une tribu. Rockeuse et forcément rebelle, subdivision provoc’ : elle sera la seule, pour célébrer Only French, à se fendre d’un titre in english. On le lui pardonnera, cause à son talent, à la belle maîtrise de son art. Ça fait longtemps que Mell hante nos scènes, avec la fièvre et l’exubérance de la jeunesse. Ce fut parfois jadis un peu brouillon, ça ne l’est plus. Ses trente ans (pile le soir-là, et gâteau d’anniversaire et champagne en toute fin) sont flamboyants. Elle fut seule ce soir-là mais se débrouille comme une chef, comme une rock star, une de la famille des grandes chanteuses rock, ses idoles peut-être, sans doute. C’est épatant !

Final suisse, avec le genevois Zedrus (prononcez tout de même Zédrus), le seul avec musiciens : clavier et batterie/guitare (parfois les deux instruments à la fois !). C’est du nympho-sentimental, du Con sans sommation. De la chanson finement écrite, qui cultive ses obsessions : « La vie est belle / Mais la beauté m’ennuie sans elle / Avec elle, c’est du vent / Mais du vent qui / Soulève sa robe. » Et, me croirez-vous, c’est passionnant. Parce que bien interprété, dans une posture folk-rock qui tire avantageusement sur le second, la malice dans les yeux et dans la voix et une grande complicité avec son auditoire. Fameux et, comme ceux qui l’ont précédé en cette soirée, frustrant car format court au strict timing. On reverra Zedrus avec plaisir. Zedrus sur NosEnchanteurs, c’est ici.

Excellent co-plateau, oui. Mais on ne peut s’empêcher de penser qu’un concert entièrement en francophone mériterait plus grande audience encore. Que la Boule noire faisait maquis, que bien d’autres bataillons doivent se joindre à ce combat.

Photos de Norbert Gabriel