Entre 2 Caisses et Leprest : sales gosses !
Ivry, le 11 octobre 2012,
Rien n’est trop beau pour une telle création. D’abord – grand fait d’arme – Jean-Michel Mouron y joue de la guitare. Gilles Raymond a sorti non son habit du dimanche mais son dulcimer à marteau et c’est tout aussi remarquable. Et Dominique Bouchery sa clarinette, Bruno Martins sa contrebasse, mais ça, tous deux le font déjà habituellement. Tous se partagent – la prod’ est sévère question budget – la même casquette de gardien de musée, une casquette comme dans le temps, comme dans ces années 2000 que, par eux, nous allons explorer. 2000 ? Pardon : « de 1954 à 2011 », un drôle de monde aux drôles de mœurs, un temps – le croirez-vous ? – où les poètes passaient pour des rigolos… Si, si… Nous sommes au « Musée poétique des gens d’avant », devant un public d’enfants, à qui on a demandé d’être bien sages. Ils le sont, même s’ils s’esclaffent, s’ils pouffent, s’ils s’étranglent à chaque gros mot. « Cocu », « baiser » (même s’il est petit et furtif) ou « sur le cul » : il est drôl’ment chouette ce poète qui parsème ses rimes de tels mots comme un pâtissier fourre sans compter sa pâte de frangipane. Sûr qu’en classe, on le chantera celui-là, rien que pour le plaisir d’ainsi transgresser les interdits et de causer grave comme le font les adultes, rien que pour voir la tronche des instits qui pourront rien nous dire : « eh ! maître, c’est du Leprest ! » Imparable !
De 1954 à 2011 donc. Nos Entre 2 Caisses sont ethnologues, anthropologues, revisitant un peu tous les aspects de la vie, du matin au soir. De ce poète, ce Leprest, ils ont fait choix de textes… pour les gosses. Eux au moins sauront ainsi qu’il a existé en ces années zarbies où les vers se buvaient pas, où les viticulteurs de mots vivaient grande disette. Pour les mômes donc, les pue-la-pisse, et ça s’appelle « Je hais les gosses », c’est logique. Ça part du P’tit Ivry (par cette chanson de Manu Lods que chanta Leprest) et ça gagne l’universel. Ça revisite les proverbes d’alors, les hirondelles et autres bêtes à cornes, ça va A l’assaut de l’île, ça soupèse l’égalité des chances, ça pleure maman, ça prélève toutes les couleurs à la palette des sentiments. Ça cause même des SDF, mais c’est vieux, c’était un temps où des humains dormaient et crevaient dans le rue, c’est dire… Et nos quatre chantistes de chanter ce chantier, ce bordel d’une époque révolue. De temps à autres, Le Père La Pouille s’en va, s’en vient, faire son tour, vendant ses peaux d’lapin, qu’il en est tout couvert pour mieux nous effrayer…
La mise en scène est légère, fluide, efficace : Juliette Nourredine a bien bossé elle aussi. Comme ces quatre qui, à la dernière chanson, lâchent la bride et libèrent l’enthousiasme sans limite des enfants dans la salle ; dans une ovation et des hurlements forcément rares, des cris de joie, de l’exaltation. Si c’est ça la poésie, c’est plutôt bien, on fait copains-copain avec Allain Leprest (1954-2011). J’ai comme dans l’idée que ça va être drôle en classe désormais : avant, nos gros mots rendaient les enseignants tout rouge, maintenant on va passer aux vers.
Entre 2 Caisses, Je hais les gosses ! Théâtre d’Ivry Antoine-Vitez jusqu’au 19 octobre. Guichets fermés pour toutes les séances publiques, mais ce spectacle tournera…
Veinards les mômes d’Ivry, avec tous ces pestacles qui ne les prennent pas pour des simplets… Veinards d’avoir le bonheur de découvrir le monde de la chanson avec Michèle Bernard ou Allain Leprest, ou ce merveilleux Prévert par Jean Guidoni, il y a 2 ou 3 ans… Ce sont des créations à conseiller à tous les publics sans limite d’âge, vous n’avez pas d’enfant ? Empruntez en un ou deux le temps d’un bout d’après midi, et en route pour un vrai moment de bonheur partagé.
Et un petit truc à l’usage des parents et grands parents qui souhaitent limiter les gros mots malpolis, apprenez à vos enfants les chansons qui usent de la langue verte, faites leur chanter ces chansons avec gros mots, mais uniquement quand ce sont des chansons. ils feront vite les malicieux astucieux, comme Léo, 4 ou 5 ans qui connaissait son Brassens par coeur, « quand on est con, on est con » , j’ai le droit c’est une chanson, et en passant rue Visconti, il me fait remarquer, Pépé t’as un gros mot dans ta rue… Pas con hein ?
Si le spectacle tourne par chez nous, pas de problème, j’ai deux ou trois gosses sous la main, et je me ferai un plaisir de les emmener …