Éric Frasiak à nouveau au boulot

« M. Boulot, on te voit plus / Dans la région depuis un bail / T’es parti où ? t’as disparu / A Kiev, à Pékin ou Shangaï… » La thématique du travail délocalisé (1), malheureusement de plus en plus dans l’air du temps, s’enrichit encore d’un titre fameux, celui de l’ami Eric Frasiak : M. Boulot photographie le monde d’aujourd’hui avec ses usines désoeuvrées, son travail délocalisé et les irréversibles dégâts sur le quotidien de ceux qui sont privés de leur gagne-pain. On peut à loisir la diffuser dans les sonos crachotantes des manifs à Florange comme à Paris, à Bar-le-duc comme partout ailleurs : en voilà un nouveau tube de la déshérence que jamais Messieurs Mittal ou Arnault n’entendront, branchés qu’ils sont, eux, sur d’autres fréquences…

Cette chanson, en ouverture, donne le ton de ce nouveau Frasiak, de ces Chroniques. C’est en tous cas celle-ci qu’on retiendra de ces Chroniques qui vont de grave à plus futile, de ces mexicaines assassinées (à Ciudad Juarez) à cet amour qu’aucune guerre n’aura raison, de la pluie qui tombe aux rues de Tokyo… Un nouveau disque d’Eric Frasiak est, même encore dans sa cellophane, un cadeau, un vrai. Que dire alors quand on l’ouvre… Le bonhomme est généreux, d’une simplicité et d’une humanité rare, à traiter le quotidien à hauteur d’Homme. Et d’un bel adn : que ce soit pour mettre des mots sur les sentiments, sur l’émerveillement, où fustiger l’indignité, c’est manifestement plus vers l’héritage de François Béranger que lorgne sa chanson rock au parlé franc et direct.

C’est d’ailleurs à lui qu’il consacre la plus prestigieuse des plages de ce cinquième opus : avec une vingtaine de collègues (dont Jofroy, Utgé-Royo, Bossone, Liévaux, Bühler, Bobin, Tomislav, Barbara Deschamps…) il y reprend Tous ces mots terribles, emblématique chanson de l’auteur de Y’a dix ans et de Magouille blues. Autres résidents de son Panthéon de la chanson, Bernard Dimey et Léo Ferré figurent également au présent générique, l’un par Ivrogne et pourquoi pas ? que Frasiak met en musique, l’autre par ce Graine d’ananar qui sied si bien à de tels sillons indociles.

Cinquième disque, donc, nettement plus musical que les précédents. Frasiak à mis les petits plats dans les grands et fait large tablée à ses musiciens : ses habituels comme ceux, nombreux, appelés en renfort, qui apportent ici des sons peu coutumiers à notre chanteur. Mine de rien, entre eux et les chanteurs associés à la reprise de Béranger, ce sont trente-cinq artistes qui égayent – façon de parler – ces Chroniques-là. Avouer que ça en valait bien une de plus.

Éric Frasiak, Chroniques, 2012, Crocodile productions. Le site de Frasiak, c’est ici.

(1)    Les mains d’or de Bernard Lavilliers, Poésie des usines de Romain Dudek, Singapour de Frédéric Bobin…