Avignon 2012 : C’est rond pour le Morel !
Michel Kemper m’avait prévenu : « Pourraves, les gnons. Jette les sphères ! » Mais, devant ma stupéfaction, il s’était repris : « Pour Avignon, je te laisse faire ! » Je me suis alors concocté un programme festivalier, tentant de varier les plaisirs, en équilibrant les propositions théâtrales et chantantes. En tout cas, il y avait une chose sûre (voire une paire) : dans ma thématique, je voulais impérieusement écrire un papier sur Gérard Morel, perspective qui donne le moral, vous en conviendrez. Mais, de prime abord, la chose ne semblait point aisée. En effet, dans la mesure où beaucoup a déjà été écrit sur le personnage, il allait falloir trouver un angle original pour ne pas faire tourner en rond un cercle d’initiés qui n’en aurait alors rien à carrer. Mais, allez trouver un angle dans un rond pour un cercle, tout en gardant la bonne distance, vous ! [En attendant, toute cette géo m'étrique...].
Ben oui, mettez-vous à ma place (vous verrez ainsi que vous n’aurez qu’une envie, retourner à la vôtre !) : quand on pense à Gérard Morel, déjà, on voit rouge (de pied en cape), avec sa rondeur toute épicurienne retenue par une paire de bretelles qui, hélas, tiquent ! Et s’il fait du bien à l’âme et l’ancolie (c’est sûrement son côté fleur bleue), le bon homme n’engendrant pas la mélancolie, il faut savoir lui rendre la justesse de ton qui le caractérise, tout en étant à la hauteur de l’auteur sans cible qu’il est sans con-test.
Et le voilà qui, sans pro-fesser, attaque son show rond, dans son show-room (« bienvenue dans notre p’tit chez nous !), par une Brève rencontre avec une belle qu’il va finir par gerber (ce que l’on comprend extrêmement bien). C’est donc bille en tête, avec l’art scénique consommé dont on sait capable ce poison- pilote, qu’il va inoculer à un public incompréhensiblement apathique ce soir-là, 16 chansons d’amour au compte-joute, avec la complicité de son narcolyte, Stéphane « Magic » Méjean. Loin d’un labo-rasoir, le duo pratique la « chimie-mots-terre-happy » comme un nanti-concert auquel il ajoute une dose d’illusionnisme. En effet, grâce à quelques tours de passe-passe dont le multi-instrumentiste a le secret, ces deux-là distillent un antidote à la taciturnité. Mais, c’est aussi grâce à la tacite unité qui les lie que l’on prend plaisir à les voir et à les entendre.
Ceux qui suivent Gérard Morel depuis longtemps connaissent son goût du partage et de la convivialité : depuis ses débuts de chanteur, l’ex-comédien ne se produit jamais qu’en bonne compagnie, qu’il soit accompagné par des garçons, par un duette ou par une clique. Même en formule solo, la solitude n’est pas son lot puisqu’il trouve alors le moyen de se présenter, flanqué d’une guitare dont il sait faire pleuvoir les cordes avec tendresse. Sans occulter les autres, Morel possède une immense qualité : il sait s’entourer d’êtres très humains qui se trouvent être d’excellents professionnels. De la subtile création lumière de Julie Berthon à l’intrigante créativité sonore de Vincent Cathalo, en passant par la délicate polyvalence instrumentale de Stéphane Méjean, Gérard Morel et l’homme-orchestre qui l’accompagne ne déroge pas à cette théorie des ensembles.
J’aime aller voir ce mec dans ses différentes formules car, tel un frère de sens, il me chante à l’oreille des expériences par lesquelles je suis déjà passé et des histoires auxquelles un jour ou l’autre, chacunE d’entre-nous peut être confrontéE. Et cette proximité constitue, à mes sens reconnaissants, une qualité humaine et professionnelle rare et remarquable : sans couper les cheveux en 4 (il aurait du mal !), il ausculte imaginaire et images inertes avec la précision d’un entomologiste et la poésie d’un lent pêcheur de tournées en rond, dans un spectacle amoureusement concocté par une vraie famille choisie.
Pour cette nouvelle création, en véritable géomaître de la chanson, Gérard « mots réels » a su se renouveler. Et c’est en grande partie grâce aux arrangements/interprétations de Stéphane Méjean, qui joue de pas moins d’une dizaine d’instruments, certains inhabituels en chanson (métallophone, saxophones [baryton, alto, basse], accordéon, flûtes irlandaises, bodhran, cornemuse, shruti box et même lampadaire…).
Aller voir Gérard Morel constitue donc une expérience sans pareil sur l’étude de l’espace et des figures humaines. Quand, en plus, on sait que ce rond qui sait s’entourer habite Tournon/Rhôn(e) sans, pour autant, tourner en ronron, on comprendra que, depuis ma position de missionnaire de la chanson, en cette période de « zozos limbiques de l’ombre », je puisse décerner au sieur Morel une médaille de bonze…
Bravo Mr Halimi pour cette très belle page et prose sur notre « Gégé ».
J’ai hâte de le voir avec son homme-orchestre qui l’accompagne!
Quand il aura fait son tour de France, il reviendra bien dans sa région, c’est à dire la mienne!
Pour vous remonter le moral, allez voir Morel!
Voilà de la chronique rondement menée, qui roule sans cahoter ni tournicoter autour du po(n)t… Et par les temps qui courent, une médaille de bonze, c’est bien le moins qu’on puisse lui décerner …