Eloge du gaffophone et hommage à Gaston

De l’art de reconditionner un produit pour le vendre à nouveau… Mais qui se plaindra de cette compile ? A l’heure où bédé et musique ne cessent de convoler en justes noces pour le plus grand bonheur des éditeurs,  rééditer le précurseur Gaston Lagaffe, qui plus est dans une sélection thématique de ses gags musicaux, est histoire de bon sens. Des bandes sans son mais qu’importe. D’abord parce que les bêtises de Gaston sont si criantes qu’elles en sont sonores. Et puis, entre nous, je ne sais quelles ouïes pourraient s’accorder, même garnies de bouchons d’oreille jusqu’à ras bord, avec l’insupportable musique gastonesque. Tout le monde n’a pas la patience d’un Fantasio puis d’un Prunelle ni la tendresse amoureuse d’une m’zelle Jeanne… Notre Gaston n’avait alors de rivale que la diva Castafiore, brisant le verre de sa voix de cristal dans les pages de Tintin.

Gaston, donc ? Même si on le voit ici et là, avec divers instruments, même s’il crée furtivement un orchestre (« Les rois des sons » avec Bertrand Labévue et Jules-de-chez-Smith-en-face et l’Anglais, planche 458) spécialisé dans les sonorités nouvelles et les « good vibrations », c’est quand même l’illustre gaffophone qui caractérise le mieux l’univers musical de notre héros sans emploi. Un gaffophone qui, évidemment, provoque les pires catastrophes… Une invention signée André Franquin : « Je préfère dessiner des instruments, c’est nettement plus amusant. Et cependant, c’est beau à dessiner un instrument de musique. Je me suis toujours amusé en faisant mon trombone dans Le trombone illustré. Et ce n’est pas évident à dessiner, un trombone à coulisse. Ce sont surtout les gestes qui sont difficiles. Et toute la famille des violons est très belle, certains cuivres sont superbes. Quel plaisir de dessiner tout ça ! »

Le gaffophone, on se l’imagine bien, a connu nombre de versions en vrai, qui toutes ou presque produisaient des sons, mais jamais de manière satisfaisante. Franquin en parle : « Il y eu plusieurs tentatives pas tellement concluantes. Il y a un gaffophone réalisé à titre publicitaire à Paris : je le trouve tristounet et je n’en favorise pas l’usage. En revanche, il y a eu mieux, grâce à un concours organisé pour les lecteurs de Spirou qui étaient invités à fabriquer et à envoyer leur propre gaffophone, et un jury avait désigné le meilleur envoi. Ce concours a donné lieu à des trouvailles incroyables, à des choses absolument aberrantes et à d’autres vraiment valables. Il y avait notamment le phénomène : un hollandais qui nous a envoyé par le train un gaffophone de trois cent vingt-cinq kilos ! Il y avait un autre instrument qui n’avait d’ailleurs plus rien d’un gaffophone, avec des leviers sur lesquels on appuyait pour sortir quelques (fausses) notes. Je n’oublierai jamais Delporte jouant du Beethoven sur ce truc-là, c’était ahurissant ! Il y a eu un très beau gaffophone français, extrêmement poétique, qui reprenait le système de la vielle, avec une manivelle actionnant une roue sur des cordes, et c’était extrêmement beau. J’avais donné le prix à cet objet, mais je n’atait qu’un membre du jury et le prix est parti à un autre. »

Le gaffophone s’inspire d’une sorte de harpe africaine faite à partir d’une branche pliée avec des cordes descendant du sommet vers une peau tendue à la base. Inventif comme pas deux, Gaston Lagaffe a inventé d’autres instruments (guitares, etc) mais c’est ce monstre du son qui restera. Le son, mais pas la chanson. Si ce n’est qu’ici et là, on entend Gaston chanter, souvent pour s’accompagner… au travail !

(les extraits d’interview de Franquin sont prélevés à l’ouvrage « Et Franquin créa la galle » (entretiens avec Numa Sadoul) paru en 1986 chez Distri BD-Schlirf book.

En vidéo, un épisode du dessin animée Gaston Lagaffe, dont la musique est signée Féloche. http://www.dailymotion.com/video/xcni6c

Sur cette autre série, c’est Sansévérino  qui chante le générique… http://www.dailymotion.com/video/xeheb9