Jean Florin, fouilleur de vers devant l’éternel
J’ai des tombeaux en abondance,
Des sépultures à discrétion,
Dans tout cimetière de quelque importance
J’ai ma petite concession.
De l’humble tertre au mausolée,
Avec toujours quelqu’un dedans
La ballade des cimetières, Georges Brassens
Ils ont chanté. Et puis après ? Après leur dernier chant, leur dernier souffle, on les a mis précieusement dans une caisse, une « petite boîte », pour une toute autre domiciliation. Certains d’entre eux squattent encore nos platines, d’autres sont déjà oubliés, mis au chapitre « pertes et profits » d’une chanson qui ne manque ni d’airs ni d’artistes et se doit immanquablement de faire la place aux nouveaux venus.
Faut-il être à ce point barjot pour déterrer les souvenirs et nous instruire avec méthode de l’endroit, du carré de terre où ces ex-enchanteurs résident, où on peut les visiter pour se recueillir quelques minutes devant une plaque, parfois un gisant ?
Jean Florin, grand amateur de chansons devant l’éternel, aime à pinailler, à finir une conversation, à trouver le détail et l’info qui ruinera définitivement le doute. Alors il s’est mis à chercher. A se remettre en mémoire un nombre invraisemblable d’artistes. En quelques mots les resituer, notice biographique succincte mais parfois nécessaire, à nous instruire parfois des conditions de leur trépas. Et nous dire où ils reposent. Ne manque vraiment que le plan de chaque cimetière mais, hélas, le GPS n’est pas inclus au bouquin. Si c’est pour les Marquises, on se fiera au Guide du routard…
Florin n’est pas allé très loin pour se faire rédiger une préface. Il aurait pu demander à un chanteur de renom qui, fatalement, se retrouvera un jour à l’horizontal dans une prochaine édition de ce recueil. Ben non. Il aurait pu solliciter l’ex directeur de l’Olympia ou un fieffé découvreur d’artistes. Non, pour pallier à ceux-ci, il est allé voir son voisin de palier, à croire que l’exigence de son livre imposait la modestie de l’intro.
À chaque fois que je fais découvrir un artiste « du patrimoine » à mon fils Arthur, douze ans, il me demande invariablement si ce chanteur est mort. Comme si tous l’étaient. Le « guide » de Florin peut me permettre d’aller plus loin, d’affiner ma réponse, de dire où et comment, de satisfaire somme toutes une légitime curiosité. Des leucémies et autres cancers à profusion, crises cardiaques, suicides (souvent au bout de plusieurs tentatives), crise d’asthme, excès d’alcool ou de tabac (les deux pour Gainsbourg), meurtres, accidents de la route, paludisme, électrocution dans sa baignoire (je vous laisse deviner qui…), c’est un peu un catalogue de toutes les fins… A toutes fins utile. Morbide ? Nullement ! Et presque passionnant. C’est pas que ça nous donne des nouvelles des intéressés, non, mais ça peut nous les rappeler, presque nous les remettre en perspective, j’oserai dire « à leur juste place » si ça pouvait ne pas porter à confusion.
Mouloudji, Moustache, Bobby Lapointe, Bernard Haillant, Johnny Hess, Raoul de Godewaersvelde, le père Duval, Herbert Pagani, Pauline Julien, Joe Dassin, Christine Sèvres, Jehan Rictus, Gaston Couté, Marianne Oswald, Colette Magny, Patrick Deny, Serge Kerval, Léo Ferré, Jacques Serizier, Danielle Messia et beaucoup d’autres sont là, dans ces pages. Tous ont passé l’arme à gauche, même les conservateurs. La sagesse semble être horizontale…
Mine de rien, Jean Florin comble une lacune éditoriale. Bien sûr, on trouvera de tels renseignements, mais peut-être pas aussi « fouillés » qu’ici, sur le web. Mais ce livre va au-delà. Il est tant le recensement d’une part de notre passion chanson qu’un bloc-notes de ceux qui nous restent à découvrir, le pendant uniquement posthume du « 100 ans de Chanson française » de Louis-Jean Calvet (chez L’Archipel). Et sans jugements de valeur (de ceux, discutables, de Calvet) : tous les morts sont ici de braves types au sens que, variétoche ou chanson de parole, les chanteurs sont tous logés à la même enseigne, même alignement, tous les pieds devant. Eux dans leur boîte, nous avec leurs rengaines. Histoires de vers…
Ils ont chanté et puis après…, Jean Florin, autoédité. jean.florin@wanadoo.fr (cet article fut préalablement publié dans le Thou’Chant).
http://www.dailymotion.com/video/x1r4ki
Dans cette belle famille, il y a deux noms qui me touchent particulièrement, Danièle Messia et Herbert Pagani, morts trop jeunes, et qui n’ont pas eu le temps d’aller au bout de leur chemin.
Il y a quelqu’un à qui je pense très souvent Pauline Julien, qui a choisi plutôt que subir, une femme debout, jusqu’au bout… Et aussi Christine Sèvres, avec un rendez-vous raté avec une notoriété qu’elle méritait, au delà des cercles d’amateurs passionnés de chanson. Pour les autres, ils ont eu une vie d’artiste riche et ils laissent une oeuvre importante, et tant qu’on les chante, ils vivent encore… « Faut vivre »
Malgré qu’on ait pas de génie
N’est pas Rimbaud qui veut, pardi
Et qu’on se cherche un alibi
Mlagré tous nos morts en goguette
Qui errent dans les rues de nos têtes
Faut vivre ..
Comme dit Mouloudji …