L’implacable loi du silence
« Je suis un minuscule producteur indépendant et je ne vois pas comment faire entrer mon artiste dans la playlist d’une radio nationale. Les majors on tout verrouillé, leur revenu étant maintenant surtout lié aux droits éditoriaux… Du coup j’ai l’air malin avec mon disque qui est pourtant bien accueilli sur nos petites scènes, les gens l’achètent sans problème… On a beau être sur iTunes, c’est perdu d’avance sans visibilité ! » nous disait hier Pierre Bucco sur NosEnchanteurs, en commentaire de l’article « Plus on parle de toi, moins tu vends » (à propos du résultat calamiteux de vente de disques pourtant largement promus par les médias de tous poils). Plus on parle de toi, moins tu vends : le contraire n’est évidemment pas valable, je vous rassure : la meilleure condamnation à mort reste le silence.
Condamnation à mort. Ce fut le verdict pour un livre sorti chez Flammarion il y a peine plus d’un an, Les vies liées de Lavilliers, dont je suis l’auteur. Les juges : l’entourage professionnel du chanteur et les médias, main dans la main. On n’a pas eu beaucoup de peine à convaincre les plumitifs culturels de taire ce livre : l’auteur que je suis n’est pas connu du sérail, il n’est pas parisien ! Un auteur stéphanois inconnu de nos tablettes, certes ancien de Chorus (mais Chorus, comme aujourd’hui FrancoFans, siégeait en province ; et du reste Chorus n’existe plus), qui a l’outrecuidance de ruiner la légende du chanteur à laquelle nous avons tous contribué, par fainéantise, par consensus, par renoncement.
Car on s’adoube entre journalistes de la Capitale, on se reconnaît, on est du même club, on boit dans les mêmes bars, on se précipite aux mêmes pince-fesses s’ils sont chics, on côtoie les mêmes artistes, on élit les mêmes, on bénéficie des mêmes avantages des mêmes maisons de disques. On a les mêmes indulgences, les mêmes complicités. On fornique pareil. Le Figaro et L’Humanité même combat, Télérama, Les Inrocks, Le Monde, La Croix, Le Nouvel Obs, Marianne, France2, France5, France-Inter… pareils. Qui est ce Kemper qui vient troubler nos certitudes ?
Ces « Vies liées de Lavilliers » deviennent un livre culte, qu’on achète, qu’on lit et qu’on relit, qu’on passe au voisin. Rarement biographie n’aura été autant de référence, suffit de voir, de lire les réactions. Pas de celles des accrédités de la culture, bien sûr. Mais les autres : tous les lecteurs de ce livre ou peu s’en faut.
Car hors les lecteurs, mes lecteurs, point de salut. Même les pleureuses officielles de l’ami Lavilliers, celles qui s’offusquent sur commande dès qu’on touche l’idole, se sont tues. Tiens, Louis-Jean Calvet, qui s’étranglait en février 2008 quand furent révélés (par Bertrand Dicale -un type bien, lui-, sur son blog) les étranges ressemblances, suspicion de plagiats sur l’album Samedi soir à Beyrouth : Calvet trouvait alors les mots pour relativiser la faute de son ami Lavilliers, l’excuser, et fustiger en des termes furibards la presse accusatrice. Là, pas un mot sur un livre de six ans d’enquête, de presque 400 pages, fait de révélations en pagaille, de « plagiats » en veux-tu en voilà. Il est aphone, Calvet ? On lui a volé son clavier à ce docte spécialiste es-chanson française ?
Le silence, donc. Comprenez : on a notre commerce de chanson et c’est pas un illustre inconnu, fut-il édité chez Flammarion, qui va venir troubler notre tranquille existence.
Le silence équivaut à la mort : « C’est perdu d’avance sans visibilité ! » On ne va pas se précipiter sur un livre (ou sur un disque) dont on ignore l’existence. C’est la punition pour un auteur autrement plus courageux que vous, bande de pleutres, pour un qui ne traverse pas dans vos clous. Il est grand temps que le public aille trouver l’info ailleurs, sur la toile par exemple, sur des sites et des blogs sensibles, curieux et teigneux, qui renversent les rapports et mettent enfin en pratique la déontologie journalistique sur laquelle vous êtes lamentablement couchés.
On lira sur NosEnchanteurs pas mal d’articles et de commentaires sur Les Vies liées de Lavilliers, livre encore disponible, notamment par correspondance sur les sites habituels (Fnac, Amazon, etc.).
Quant à moi, il me reste quelques exemplaires disponibles que je peux vous dédicacer, à 24 euros pièce (livre + 4 euros de frais de port) : me faire parvenir un mél pour réserver.
A nous de briser la loi du silence. Merci pour l’article !
Ah Michel… qu’attendais-tu donc ???? Que les requins se déchirent entre eux ??? Tu savais bien que non ! Tiens, Goldoni a fait une très belle pièce de théâtre la-dessus… « Les Femmes Pointilleuses ». Il y a des mondes où on ne sera jamais accepté (le clan politique-des riches-des sang bleu…etc) surtout quand l’ouvrage descend en flammes (et c’est bien !) un mythe… Je crois que cette omerta est le plus beau cadeau (pas économique !) qu’on puisse te faire, la véracité de tes écrits touche en pleine cible les étrons parisianistes… C’est un monde de fric (où était le show-biz à l’enterrement de Leprest ???????) qui pue jusque dans ses silences et ses absences ! Tiens bon, on t’aidera !
En effet, ce qu’il faut comprendre c’est que ce soi-disant « monde » est pourri pour ceux raisonnent et créent.. Dans tous les cas vous seriez déçus car ce que vous faîtes est vrai.. Il me semble qu’on est des milliers dans ce cas… L’observation que je retiens de ce « monde » est que si on vient vers vous, il y a forcément quelque chose de pas clair derrière… Restez humble et bravo pour votre travail : « j’aime beaucoup ce que vous faîtes… »
Je crois que ton livre arrive ou trop tôt ou trop tard. Trop tard parce que Lavilliers n’intéresse plus grand monde, son public est acquis et vieillissant. Trop tôt parce qu’il n’est pas encore mort, peut-être alors ton livre aura-t-il une seconde chance ?
Quant au plagiat, tout le monde s’en fout, les people plagiaires de toutes sortes réapparaissent sans honte dans les médias après condamnation. Bientôt ils porteront leur accusation et/ou condamnation pour plagiat comme une décoration au revers du veston ! Une preuve de leur appartenance à la caste.
…Billet intéressant, toutefois je ne trouve pas que ce bouquin est passé inaperçu. Ce serait également intéressant de savoir s’il s’est assez vendu (ventes réelles).
Réponse : 3400 ex, c’est le chiffre qui m’a été communiqué un an après sa sortie. A quel moment par contre ces chiffres ont été arrêtés ? je ne sais pas. « Chiffres corrects mais un peu décevants compte tenu de la qualité de votre livre » selon l’éditeur. Très en deçà en tous cas de ce qu’on peut attendre d’une telle biographie. MK
Ce n’est pas énorme en effet. Ce n’est pas mal non plus. Certains tueraient père et mère pour vendre plus de 3.000 exemplaires. Je rejoins les propos de Pierre Delorme : « Je crois que ton livre arrive ou trop tôt ou trop tard. Trop tard parce que Lavilliers n’intéresse plus grand monde, son public est acquis et vieillissant. Trop tôt parce qu’il n’est pas encore mort, peut-être alors ton livre aura-t-il une seconde chance ? »
L.M
Michel,
Je l’ai déjà écrit, mais je le redis : ton livre est une référence. Mais le problème c’est qu’effectivement Lavilliers n’intéresse plus personne ou alors les déjà amateurs qui ne veulent pas voir leur statue déboulonnée.
Les gens préfèrent se fermer les yeux. Ils ne constatent pas l’ampleur de la magouille. Pour Gainsbourg, c’était la même chose. Ça fait des décennies qu’on lui trouve des excuses d’avoir plagié un tel et un tel et un tel…
On entend des trucs comme :
«Dans la variété, c’est normal que tous s’inspirent les uns des autres…».
Hé ! On ne dit pas le contraire, on dit juste de citer ses sources !
Lavilliers n’a pas la cote chez les branchés non plus. Si ma mémoire est bonne, Lavilliers ne figurait pas dans le palmarès des 200 (deux cents !!!) artistes indispensables français dressé par Les Inrocks. Renaud non plus n’était pas là ! Mais Sandrine Kiberlain, oui… Ri-di-cule.
Et, dernière chose, il paraît que les biographies de chanteurs, ça n’intéresse plus les gens. À Montréal, j’ai parlé avec un disquaire/libraire qui vend de l’occasion, il n’achèterait plus ce type de livres…
J’ai constaté la même chose moi-même : les livres sur la musique, les essais même en général, ne semblent plus intéresser les gens.
Cela m’évoque entre autre le belle et très juste chanson de Félix Leclerc, « CONTUMACE », où il conclue que « parce que tu chantes ( u écris, tu philosophes, tu composes) « sans permis… as-tu ta carte, fais tu partie d’la charte ?… apprends que pour devenir artiste faut d’abord passer par la liste des approuvés ».
« »Le silence équivaut à la mort : « C’est perdu d’avance sans visibilité ! »« »
Oh que oui,
C’est valable pour la presse parisienne à propos du livre de Michel, mais pour tant d’autres aspects du monde artistique, en fait…
Chanteurs, ACI, nous mendions pour avoir un journaliste qui daigne se déplacer (fasse son boulot tout simplement, en somme), nous mendions pour tenter de faire partie d’une programmation (mais bon : nouvelle chanson française, oblige… nouveaux artistes dits « en émergence »… (et j’avoue que ce concept m’échappe un peu)… alors on est invisible, transparent voire obsolète, et on passe ainsi de la marge au maquis… Alors on se drape dans son honneur de contrebandier, pour continuer à exercer cet art qui nous aide à rester vivant, et on tente d’avancer vent contraire, mais obstinément !
en amitié !
Réponse : Natasha, ce commentaire me touche car tout y est vrai. Et bien entendu qu’au-delà de mon cas et de mon bouquin, c’est le sort de l’ensemble des artistes hors gros labels : ce n’est pas pour rien que je débutais l’article par le témoignage d’un petit producteur discographique. Ce qui me touche beaucoup dans votre témoignage, c’est le rappel de « Contumace » de Félix Leclerc, que je tiens depuis longtemps, depuis toujours, comme étant sa plus belle chanson. Elle nous va si bien… Merci ! MK
J’ai interviewé plusieurs fois Bernard Lavilliers, dont les supercheries n’échappent qu’à ceux qui ne veulent pas les voir. En fait, il gagne beaucoup plus à être écouté qu’à être connu, comme pas mal d’autres chanteurs d’ailleurs. Mieux vaut réserver sa plume à valoriser des gens qui le méritent plutôt qu’à des des mythomanes à l’égo démesuré, qui ne valent pas le prix de l’encre utilisée à les descendre…