Monsieur Poli, la politesse du talent
Il est natif de Guyane française, de Saint-Laurent du Maroni, mais ça tient un peu du hasard. Il habite Nanterre et c’en est un autre. Car la famille Poli est originaire d’un petit village de Haute-Corse : si identité il y a, c’est plus sûrement là qu’elle se trouve, au loin, dans les maquis, comme une lointaine terre nourricière. L’enfance de Gérard sera partagée entre la variété des radios continentales et les ritournelles de sa Corse, oh, île d’amour… Gratteur de guitare à dix ans, il y adjoint l’écriture, celle qui parfois pousse comme acné à l’adolescence. Une écriture qui profite de ses récentes découvertes et les exploite : la chanson française, de Nougaro à Brassens, de Vian à Dutronc, et d’illustres auteurs, de Jules Renard à Pierre Desproges, de Terry Gilliam à Stan Lee.
C’est aussi l’âge des premiers groupes rock qui, chez lui, se colorent volontiers de jazz. Sous ce rock germe le chanteur qu’il devient un soir d’octobre 1997, quand il se pare du nom de Monsieur Poli, soulignant avec malice que « La politesse est l’humour du désespoir ». Tout un programme, déjà…
Car cette année-là, Gérard Poli a noué des rencontres décisives. Celle d’Arnaud de Boifleury, guitariste et compositeur, qui pose ses douces mélodies sur les textes souvent acides de Poli : la chimie opère, il y a réaction. Et la « bande » d’Astaffort, où il est repéré en tant qu’auteur par le maître des lieux qu’est Francis Cabrel. Jean-Louis Foulquier, quant à lui, programme tant dans son émission Pollen sur Inter qu’au Francofolies de La Rochelle ce qui devient un trio : Gérard Poli, Arnaud de Boisfleury (guitares et percussions) et Jérome Sarfati (piano et contrebasse). Il y a aussi le fameux concours « Le Mans Cité chanson » que Poli remporte en 2003. Et ces premières parties de Leprest aux Nuits de Champagne comme à L’Européen (ce n’est pas pour rien qu’on retrouvera ces deux-là en duo sur le deuxième album de Poli, précisément sur C’est peut-être). Et ces interprètes encore, pour qui Gérard Poli aiguise ses crayons et soigne sa calligraphie : Alain Klingler, Les Squatters, Erik Karol et Zoé.
Les formations de Monsieur Poli vont varier au fil des années, avec plus ou moins de musiciens (ils seront jusqu’à cinq en scène, Poli inclus), au gré de sa vie artistique et de la bonne fortune des lieux de concerts.
Deux disques ponctuent l’itinéraire : Les Voleurs de briquets en 2001 puis Des pépins et des pommes en 2005, nettement plus abouti. Là, il y fait swinger Pompidou, surfer Le Surfer d’argent, tomber Les Chutes, imagine les filles nues sous leurs vêtements, négocie en ami fidèle La Garde des sentiments… Que du sensible, dans une voix éraillée, avec la pointe d’humour d’un clown blanc. « A priori, les chansons de Monsieur Poli n’ont l’air de rien, petits poèmes du quotidien enrobés de quelques accords swing et d’une voix râpeuse de fumeur. Mais, en se laissant porter, on découvre un monde intime bourré de tendresse ou de petites cruautés, un monde décalé, à la fois naïf et ironique, où mêmes les névroses et les hommes politiques font sourire. C’est léger, malin, affectueusement moqueur, finement observé » lira-t-on dans les colonnes d’Aden.
De la difficulté d’être artiste en notre temps, à toujours soulever des montagnes pour simplement faire vivre, un peu, son art… Gérard Poli se range un temps de la chanson : « J’avais lâché, je suis sorti de la course à un moment donné ». Jusqu’à sa rencontre avec Sève, une harpiste. Pas une totale inconnue d’ailleurs pour Monsieur Poli, qui a travaillé il y a peu avec le mari de celle-ci sur le livret d’un opéra. Chanson-harpe, la combinaison peut sembler singulière. Certes on connaît la chanteuse Cristine, certes il y a Stivell le tutélaire… Mais là c’est unir un répertoire en grande partie existant à cet instrument. Tous trois (Sève, son mari et Poli) bossent avec enthousiasme à ce nouveau projet. Tant que l’artiste qu’est Gérard nous revient : « Sur scène, il y a quelque chose qui fait ! » La possible rigidité de la harpe est quasi cassée, tout est souplesse dans cet hymen alors improbable. Même quand Poli chante son Surfer d’argent, la harpe s’insinue presque entre les galaxies. L’improbable existe, qui plus est dans la beauté. Et Monsieur Poli d’à nouveau partir à la rencontre du public. S’il passe à proximité, allez-y les yeux fermés : c’est rien que du bonheur !
Poli et Sève du 5 au 7 puis du 12 au 14 janvier au Théâtre de l’Essaion, à Paris (cet article a été publié une première fois sur le Thou’Chant).
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