Clément Bertrand, fusains aussi noirs qu’élégants
« Au bistrot, les anciens dissèquent / La nostalgie sous des casquettes / Ici le ressac fait cul sec / D’une traite on boit sa retraite / Sans rendre le dernier hoquet / Je flotte aux bouchons des bouteilles / Pour nager du bout des orteils / Je ne suis qu’un marin à quai. » Même en s’en défendant, les noms de Lantoine et de Leprest s’imposent à l’écoute : pareille façon de frotter les mots, de les décocher, de les lancer à l’aventure, de ces vers additionnés qui poursuivent une idée, qui, au bout du compte, à l’addition des notes, font chanson. Et drôle de mémoire. Dès les premiers vers, on est saisit, on s’arrête de tout, on écoute, intrigué, interloqué. L’univers de Bertrand est dense, poisseux, prenant, poignant. Bertrand a, comme on s’en doute, la voix râpeuse de ceux que la vie cingle. Ça doit être cause aux vents de son île d’Yeu. Ça tempête dans le gosier, ça rend gorge. Les textes en sont tous rugueux, comme l’est l’existence. « Des arbres dépouillés, en coup de vent l’huissier / De l’automne est venu solder nos banqueroutes / En chèque en bois pleut des feuilles de créanciers / Il n’y a pas qu’en été que le fin de mois doute. » Coups durs, coups bas, vies à crédits, misère étalée, santé contrariée, exécutions ordinaires, mort, les vers de Bertrand sont comme dessins, pas même caricatures, fusains forcément noirs, traits épais mais finement tracés, maux joliment calligraphiés. C’est étonnant, souvent bouleversant.
Pas trente ans le Bertrand et déjà ce troisième album (L’hypocondriaque en 2004, L’amour dans une brocante en 2006), longuement macéré, sans doute celui de la reconnaissance : comment pourrait-il en être autrement ? Chaque chanson est d’une incroyable densité. De mots certes, surtout d’ambiance. Et la belle écriture, et l’interprétation…
Depuis toujours, Clément Bertrand est un duo. Fait de Clément Bertrand, certes, et du pianiste Grégoire Gensse, son frangin de scène, qui vous tricote ici une de ces textures musicales particulières, composée de ses touches, les noires, les blanches, des acoustiques, des électriques, mais aussi de boîtes à musiques, de diverses percussions, faisant la mer calme et les 30e rugissants : « Grégoire fait peur aux loueurs de piano parce qu’il les cogne (les pianos, pas les loueurs) et trafique le cordier à l’aide de fourchettes, de verres, de crayons, pour le plaisir des oreilles ouvertes, dans tous les sens du terme. Du coup on a mis sa dinette et mes mots dans le même sac et on est parti brailler nos bêtises un peu partout » en dit Bertrand. Par toutes les plages de ce disque océan, on sent cette complicité.
Clément Bertrand, Le salut d’un poisson, 2011, Interférences/La malle d’octave. Le myspace de Clément Bertrand c’est ici.
Y’ pas grand chose que je trouve mieux écrit que ce qu’écrit ce mec. La plume n’est plus simplement au service de la plume, d’où une densité de son et de sens remarquable. Un tout bon !
CCS
Clément est une des plus belles plumes de la chanson contemporaine.
Merci pour l’inestimable découverte !