T’as le look, Coko !
Corentin Coko sait d’où il vient. Sa chanson n’est pas innocente qui s’inscrit dans une vraie tradition. Pas pour rien donc qu’à côté de ses propres chansons, il fasse aussi place à Jean Villard « Gilles » (Dollar, interprété par Gilles et Julien en… 1932, toujours très actuel au demeurant, plus même : « Mais sous un ciel de cendre vous verrez un soir / Le dieu Dollar descendre du haut d’son perchoir / Et devant leurs machines sans comprendre encore / L’homme crever de famine sous des montagnes d’or »), Eugène Pottier (L’économie politique, à ma connaissance inédit en chanson), Gaston Couté (Le char à banc des moribonds, dont je ne connais, là encore, aucune autre interprétation) ou Mei Li Qi Ge (un texte d’il y a pile cinquante ans à la gloire du Grand Timonier, qui plus est en v.o. !). Même à Jean Poiret pastichant Brel sur le timbre de La Valse à mille temps (qui devient ainsi La vache à mille francs). Corentin est un jeune chanteur cultivé. C’est aussi un redoutable artiste. Nous le savions ou pour l’avoir vu en scène, ou par son premier album (Tango des organes se départageant le corps de l’homme, en 2009). Voici son deuxième opus, « en public » (il nomme ça Vivant Spectacle !), enregistré à Aix-en-Provence et à Montpellier, avec treize inédits sur seize (seuls sont repris au précédent Baudet, Brûlot sur les voitures et Etranger) : pas mal, l’artiste !
Qu’il chante ou déclame (ce disque est très parlé…), Coko aime le mot. Un peu comme Bernard Meulien disant Couté, ou Loïc disant Lantoine. Et aime la scène. A tel point qu’on hésite à utiliser le terme qui ne veux rien dire de « concert » à son propos. Lui est en récital, en presque cabaret, à lustrer les mots, à les faire parler. Il est de la famille de Guidoni ou de Marianne Oswald : propos neufs pour patine éternelle, chansons cirées à l’ancienne tirées d’une voix jeune, d’un des grands espoirs de la scène. Et forte d’une tonalité sans ambiguïté : Coko ne lève pas le poing, ne lève pas la voix non plus, mais n’abdique pas son droit à la parole. C’est net, précis, carré. Qu’il convoque le souvenir de Prévert ou de Druon, qu’il se fasse porte-voix de Couté ou de Pottier ou qu’il se chante lui-même, c’est même engagement, même regard sur le monde. Sur le pouvoir politique ou sur les prostituées, sur ces étrangers qu’on reconduit, sur la jeunesse d’aujourd’hui, Corentin Coko pose son regard parfois colère, parfois attendri. Et confirme la prime et superbe impression que nous avions de lui : il en fera du chemin si les cochons du showbiz ne le mangent pas.
Coko, Vivant Spectacle !, 2011, Sur l’air de rien / Mosaïc Music. Le site de Corentin Coko, c’est ici.
Pour être tout à fait complet avec l’actualité de ce Coko-là, notons la sortie du cédé Matins du groupe musical « Les Dormeurs du bal », dont Corentin est le tiers de l’effectif. Un disque presque trad, un peu moyenâgeux, un peu à l’Est… Corentin Coko fait de plus partie du collectif « Chansons à bretelles » (et du disque éponyme).
Depuis trois ans je suis le travail de Corentin et en ai fait un résidant de notre festival. Chaque année, c’est avec énormément de plaisir que nous l’accueillons. Il est en perpétuelles créations, recherches d’idées, d’envies de transmettre et toujours de belle façon. Vendredi et samedi derniesr il était sur la Nuit de la chanson française au domaine d’O a l’initiative de Michèle Bernard. Sa prestation a été remarquable et remarquée aussi bien sur son tour de scène que sur ses accompagnements des autres invités. Un grand de la chanson et du texte, plein d’humanité, qui ne demande qu’a être plus largement connu.