Conjuguer Brassens au présent
Samedi 29 octobre 2011, 5e Rencontre de la Chanson francophone, médiathèque de Domerat,
Mon premier se prénomme Michel, il est journaliste, vous l’avez lu fidèlement dans les pages de Chorus, et de Paroles et Musique précédemment. Brillant conférencier, il s’en vient narrer Brassens qui, il y a pile trente ans jour pour jour, cassait sa pipe, à ce qu’on dit. Mon second se prénomme Michel, il est chanteur et se met en bouche, avec rare délectation, avec un talent qui, comme le bon vin, ne cesse de se bonifier, tonton Georges, cette matrice de la chanson que nous aimons. Tous deux vont nous rendre plus familier encore l’homme de Sète, le tendre bourru du Gorille. Michel Trihoreau et Michel Grange (qu’on surnomme Milou, je ne sais pourquoi) font la paire et la visite à Brassens, débusquant ici et là de riches et belles anecdotes, ses substances littéraires, ses exploits, le ramenant à la vie si tant est que ce facétieux-là soit vraiment mort.
Mort ? Sans être révisionniste, on peut en douter. Rarement on a vu autant Brassens à la télé. Même à l’hôtel du bout du monde où nous étions, en cet Etap’hôtel surréaliste à quelques galaxies de l’épicentre qu’est Prémilhat. Même chambre 11, c’est dire (la mienne), grouillante de vie (style Les copines d’abord). Brassens de partout, comme s’il en pleuvait, presque autant que Tintin. Capitaine Haddock moins bourru que le vrai, pareil producteur de jurons au point d’en faire une ballade, plus sûrement navigateur que lui et que vous tas de rameurs, le père Brassens naviguait d’une chaîne l’autre, médusant l’écran. Parfois lui, parfois ses survivants tel Joël Favreau, cheveux blancs du plus bel effet et propos sensibles et consistants, de fait incongrus en télé. Du Brassens qu’on bouffe depuis quelques mois, en expo, à l’étal des libraires, dans les bacs des hypers (je dis pas « disquaires » y’en à plus) et, depuis quelques jours, en injection sur les radios, en perfusion à la télé. S’ils aiment tant Brassens, dans les grands médias, faut apprendre à distiller : un p’tit peu chaque semaine, tout au long de l’année. Et l’an prochain aussi, malgré que ses 31 ans n’intéressent alors plus personne. S’ils aiment tant la chanson, qu’ils en diffusent aussi, des autres que le vieux : y’a pléthore, j’en ai des listes pour vos play-listes.
Nous ici, à Prémilhat, en cette Rencontre de la Chanson francophone, si Brassens est là ce n’est pas faire comme tout le monde, pour faire joli, pour commémorer à tous prix. C’est parce qu’il y est à sa place tout simplement, aux côtés de tous ces p’tits jeunes qui ont pour nom Gilles Roucaute, Elsa Gelly, Corentin Coko, Pauline Paris, Anne Sila, Garance, Clémence Chevreau, Caroline Personne, Flavia Perez et bien d’autres. D’ailleurs, on le chante en vrai devant des gens, et c’est bien la preuve qu’il n’est pas mort, qu’il bande encore. Durant tout le festival, le plus discrètement possible, une grande, une très grande de la chanson était présente, pour simplement apporter un peu de son soutien et pour y découvrir le futur de la chanson. Elle, c’est Anne Sylvestre, qu’on surnomma longtemps, encore maintenant, la « Brassens en jupons ». Pas de commémoration vous dis-je : une simple présence bienveillante.
Pour Milou, je ne sais pas, mais j’ai cru entendre parler de Tintin, chambre 11 !
Milou : contraction de Michel et p’tit Loup, « Mon ptit loup ».
Loin de l’hôtel, dans le lieu culte du festival, là ou on était tous réunis en famille, sans grade ni fonction, sans star ni jeunette, mais tous simplement en humains, les murmures allant bon train sur le 11 de l’étap. Nous ne serons jamais ce qui s’y est réellement passé, personne n’est passé à confesse au… presbytère.