Un week-end stéphanois sur les traces de Nanar (1)
Amicale laïque de la Terrasse, à Saint-Etienne, ce samedi 15 octobre 2011. Le public est sagement assis, les artistes aiment se faire attendre. Fred, le caméraman, est en position depuis longtemps. Didier et moi arrivons, lui chargé de sa guitare, moi d’un carton de bouquins. Accueil par Jean Navrot. Navrot est un de ces agitateurs culturels comme on ne sait plus en faire. Il fut ami d’Odouard et de Dupperay : Jean Dupperay, le fameux instit’ du jeune Bernard Oulion, et Marcel Odouard, l’anarcho-syndicaliste qui incita Bernard à se lancer dans la chanson. Au départ de Lavilliers, Navrot fut de la distribution de la pièce Mourir, cette chance ! C’est dire le bonhomme…
L’assistance est faite pour partie d’anciens de la Manu, la Manufacture nationale d’armes de Saint-Etienne. Quelques dizaines de personnes pour découvrir ou retrouver Lavilliers, le leur.
On ne connaît vraiment Didier Hominal que sous son nom d’artiste de Monsieur Bidon. Didier a relevé cet étonnant défi qui lui a été lancé quelques jours plus tôt, au déboté : réveiller des chansons endormies et oubliées de Bernard Lavilliers, celles, stéphanoises, d’il y a quarante-six ans, jamais gravées sur disques. Bidon s’en mettra trois en bouche : L’homme en bleu où Nanar se chante en ouvrier tourneur, à la Manu, rêvant d’Eve et de « cet homme qui a nom Adam » ; Ça en fait des croix où notre jeune fabricant d’armes parle de la guerre ; et Moi, j’aime pas les flics qui se passe de tout commentaire. Le cadeau est sympathique, l’émotion palpable. Navrot y retrouve la trace presque d’une école stéphanoise de la chanson, quant aux thèmes abordés et la façon de le faire, dans laquelle s’inscrivent aussi des André Meillier et Claude Lyonnaz, comparses d’époque du sieur Lavilliers.
A moi de faire causette sur le livre ; au public d’intervenir. La contradiction est portée par une dame blonde, très respectueuse et attentive, pas tout à fait convaincue de ma démarche, réticente. On saura plus tard qu’elle est cousine de Bernard. C’est vrai que si Saint-Etienne est terre de houille, elle l’est tout autant de Oulion. Le week-end en sera pavé. Les questions sont ici comme partout, avec toutefois la précision d’un scalpel : « Doit-on investiguer la chanson ? », « Peut-on biographer sans l’accord de l’intéressé ? », « Pourquoi révéler le vrai Lavilliers ? », « Pourquoi et comment une telle omerta ? »… Aux gars de la Manu, je n’apprends rien sur la légende. Ils savent le bonhomme et on ne la leur fait pas. Ils nourrissent simplement de détails. Et disent leur franc respect, leur admiration même, au papa Oulion, le paternel de Bernard : « Bien sûr qu’il avait sa carte du Parti, c’est moi qui lui vendais le timbre chaque début du mois ! » dit fièrement l’un d’eux, ajoutant : « Vu ses responsabilités administratives à la Manu, être communiste lui valait d’être mal vu. » Après la « conférence », on se retrouve au bar de l’Amicale, qui devant un muscat, qui à siroter un communard, à poursuivre l’étonnant Bernard Oulion devenu Lavilliers, à fouiller les souvenirs. C’est franc, direct, intelligent. Et sensible. On est à Sainté et Bernard est un des nôtres. Ou le fut. Et de parler de lui, sans effets de manches, sans légende à dormir debout, ça fait du bien. Pour eux c’est parler d’un copain parti il y a longtemps. Mais étonnement présent.
(Suite bientôt. Dès que les images vidéo seront prêtes, nous en diffuserons sur You Tube, sur NosEnchanteurs et sur le site Voleurdefeu).
Bonsoir Michel
Que c’est toujours écrit proprement
Félicitation
Amitiés
Didier
Merci pour ce joli texte sur le temps qui passe et l’inévitable décantation des légendes qui de piquettes travesties en vin de garde, ressortent en fin de compte, par la grâce de vaillants et méticuleux sommeliers tels que vous et Didier Hominal, débarrassées de leurs méchants additifs, bien plus authentiques et agréables au palais de l’échanson buveur de chansons !
Un jour , Lavilliers, la sagesse venant et l’égo se faisant plus serein, viendra sans doute boire le verre de l’amitié avec vous à la santé d’une passion commune.
Il faudra que je reparle encore une fois de Lavilliers parce qu’on n’a pas épuisé le problème.
Je vous livre en attendant ce qui suit … qui n’est d’ailleurs pas sans rapport :
Michel Kemper nous livre ici tous les jours une nouvelle fournée d’artistes dont le nombre et le foisonnement n’est pas sans rappeler les années 70. C’est une génération qui me semble moins politique, plus poétique : c’est qu’il ne s’agit plus de vivre au pays mais de vivre tout court.
Leur nombre recommence quand même à poser le problème réjouissant d’un autre rapport à l’artiste : ne plus les insulter en leur tapant une quarantaine d’euros (la place) à la figure mais leur trouver un nouveau statut qui leur permette de vivre (plus banal et c’est tant mieux).
Cesser de pisser dans son froc six mois à l’avance en réservant ses places pour bêler d’admiration devant son idole mais simplement se réjouir de pouvoir retrouver ce soir une voix fraternelle.
En attendant de cesser enfin d’être des consommateurs !!!
A méditer : l’invitation en clin d’œil marquée d’un peu de lassitude de François Béranger ( Parce que les tournées, c’est chiant. N’est-ce pas Jean Ferrat ? )
Que chacun prenne sa guitare
Et fasse sa propre chanson
Quand ce jour-là arrivera
J’aurai plus à venir comme ça,
Vous faire entendre mes discours
Et mes chansons d’amour.
Ou celle (l’invitation) de Gilles Servat :
Pour faire une chanson pour savoir chanter
Pas la peine d’être dans le génie taillé
Il faut simplement apprendre et travailler
Ce n’est ni prodige ni facilité
Les chanteurs ne sont pas des gens à part
Et ce qu’ils font tous vous pouviez tous le faire
Si vous ne le faites plus c’est qu’on vous a fait taire
Pour vous rendre muets on vous donne des stars.