Claudine Lebègue en zone concertée
Claudine Lebègue, 29 septembre 2011, Le Pax à Saint-Etienne,
Amazone. Dans sa zone. « A ma zone » dit-elle, chante-t-elle. Rarement oeuvre d’artiste n’aura été si personnelle que celle-ci. De sa naissance concomitante avec son quartier, ce « terrain vague grand comme un champ à faire pousser des gratte-ciels. » Elle, ses frères, ses soeurs, tous conçus dans le noir d’un labo-photo, entre asa et din, entre révélateur et fixateur, entre bain d’arrêt et pertes des eaux. Un terrain vague, des immeubles qu’on plante et qui poussent. Pas de passé, pas encore de cimetière, pas de racines, simplement une histoire à inventer, des relations humaines à façonner, à tisser, dans un patchwork de vies, de cultures, de langues. La zone, c’est sa vie. C’est Villeneuve-la-Garenne, dans le 92. C’est là, pile là, où vécu Jean-Baptiste Clément, où est né ce Temps des cerises, gais rossignols et merles moqueurs. « A ma zone » c’est cette vie de gamine, d’adote, dans ce quartier-là. Des souvenirs grouillant d’anecdotes, suintant de pures émotions. A tout prendre c’est la vie ; c’est la sienne, passé retrouvé, recouvré, assumé. Et on y est bien, on s’y sent bien.
Ce spectacle, Claudine Lebègue l’a créé depuis plus d’un an, seule en scène, entre soufflet à bretelles et bidons, bidons, pas bidonville la zone mais pas loin. Voilà qu’« A ma zone » vient de faire sa mue, au sortir d’une résidence au Pax de Saint-Etienne, invitée qu’elle fut de Carotte-productions. Lebègue n’est plus seule dans les artères de sa mémoire : sa zone est désormais concertée, deux musiciens l’ont libérée de ses gestes, restitué sa fougue. Et c’est en amazone qu’elle revient, en combattante, presque guerrière, en animal. Ses mains ont beau ne pas être gantées, elle fait comme boxe, aux arguments frappants. Elle est là, devant vous, tendre, drôle, tragique parfois, toute tournée vers cette zone aimante, ce pôle magnétique. Que du vécu, que des photos à émotion sensible, à émulsion à fleur de mots. Des photos de pas vu, pas entendu ailleurs, loin des clichés de banlieue, de toute caricature. « La vie ça s’fait pas, ça s’prend » et Claudine a pris, à tout prix. Longtemps après elle restitue, mot pour mot, émotion pour émotion. Avec sa vision de gamine, avec son retour d’adulte, pesant la chance d’être née là-bas, d’avoir vécu ça, amazone « avec tes seins comme une armure / entre Saint-Denis et Saint-Ouen / t’as d’l’allure, j’te jure. »
Il suffit d’une résidence pour faire d’un spectacle presque un autre, pour l’envisager autrement. Il a suffit de Michel Taïeb à la guitare et d’Alexandre Leitao à l’accordéon, magnifiques de talent à sculpter des ambiances sonores débridées, electro-jazz-musette, de cet espace retrouvé, pour que Lebègue redevienne et chanteuse et comédienne, premier rôle dans le film de sa vie. Savez-vous vraiment Claudine Lebègue ? Savez-vous cette bonne femme en scène, incroyable, merveilleuse, bouleversante ? Si les programmateurs daignaient se déplacer et programmer, ils constateraient les yeux du public à sa sortie, qui a dans son regard le ciel de Gagarine et toute la bonté du monde. Et des bâtiments de béton devenus de confortables cocons : suffit de les meubler de sentiments, de compassion, d’empathie. D’amour, oui. Lebègue est exemplaire, qui nous donne tout et reçoit en retour. Un tonnerre d’applaudissements !
A noter : Claudine Lebègue dans « A ma zone » du 13 au 15 octobre à A Thou bout d’Chant à Lyon. Le site de Claudine Lebègue.
Quelle merveilleuse découverte ! Que d’émotion… Je viens d’écouter les extraits sur son blog… Je partage vos sentiments sur toutes les qualités de cette merveilleuse chanteuse. Dire que sans vous, je n’aurais pas eu le plaisir de la connaitre. Merci pour tous vos articles que je lis assidument.
Merci d’exister pour nous.
Michèle