Les Vies liées… Aventures en Jamaïque
Ça fait longtemps que je ne vous ai entretenu de l’ami Lavilliers, l’aventure faite chansons. Extrait à nouveau du livre Les vies liées de Lavilliers (toujours disponible aux éditions Flammarion). Nous sommes en 1979 et Bernard prépare ce qui sera son album culte : O Gringo.
Notre héros s’est mis en tête de glaner à travers le monde la matière de son prochain album. Et d’enregistrer in situ. Mais sa maison de disques refuse de le suivre sur ce terrain-là, qui lui semble caprice d’artiste désireux de s’offrir des vacances en fumant de l’herbe à bon compte. « Faut voir… Là-bas, l’herbe est tellement forte qu’il vaut mieux éviter d’en prendre si on veut travailler. J’aurais eu tort de faire le rasta, moi un blanc de Saint-Étienne. Le but était de réaliser quelque chose, surtout pas du tropicalisme, mais une œuvre personnelle, sans copier ni dénaturer. »
Le reggae déferle alors sur la planète. Bob Marley, au sommet de son art, vient de sortir Survival. On ne compte plus le nombre de chanteurs et de formations qui se réclament de ce rythme jamaïcain et de ses dérivés. En France, cette géniale et vieille canaille qu’est Serge Gainsbourg va se refaire ainsi une santé, accédant du même coup au statut de star incontestée, avec une Marseillaise reggae qu’il s’en est allé enregistrer à Kingston, après avoir pris soin de tout régler depuis Paris.
La démarche de Lavilliers est autre. C’est de son propre chef qu’il atterrit de nuit à Kingston, en plein orage tropical. Ça fait tout de suite roman d’aventures, épique et d’époque, genre Docteur Justice, une BD qui paraissait alors dans Pif-Gadget… Car Bernard et sa compagne vivent d’emblée leur première (més)aventure, mauvaise pioche d’un taxi dont le conducteur est plus soucieux d’amener ses clients dans un endroit tranquille pour les braquer que de les acheminer à bon port. Mais le chauffeur n’excelle pas au volant et, à cause de la pluie battante et d’essuie-glaces défectueux, la voiture se retrouve sur le toit et le conducteur, bien que sonné, s’enfuit sans demander son reste. « Je crie à Bernard : “Vite, coupe le contact, la voiture va flamber !” On était là, on n’avait rien. Moi qui m’étais acheté pour l’occasion des petites chaussures chez Sacha et une combinaison de chez Cerruti, nous étions dans la boue jusque-là ! » se remémore Évelyne. Nos héros s’en sortent en tout cas indemnes et les voici tout ruisselants, avec guitare et bagages, à tenter l’auto-stop pour rejoindre la capitale et un hôtel qui, malgré leur état, daignera les accepter. L’aimable automobiliste qui les prend à son bord leur expliquera qu’ils ont eu de la chance, nombre de touristes étant découverts morts le lendemain en de lointains no man’s land. À peine un fait divers… « Plus tard, j’ai retrouvé le mec, je l’avais bien photographié. Finalement, c’est devenu mon tacot et il m’a trouvé l’hôtel que je voulais : l’Indies Hôtel. »
De cet hôtel où ils se sont réfugiés, Bernard va, par petites touches et avec beaucoup de patience, chercher d’abord à se faire accepter puis remonter la piste du reggae. Ça prend des semaines, rien que pour essayer de comprendre « comment ça marche »… Lavilliers se balade, armé de volonté. Il se rend dans le ghetto chez un nommé Lee, dont les parents tiennent un bazar de disques, de casseroles et de chaussures, et qui manage les Gladiators, des musiciens qu’on dit être parmi les meilleurs. C’est par leur entremise que Bernard et Évelyne croisent Bob Marley. La rencontre, qui est d’importance aux yeux du Stéphanois, lui permet illico d’embarquer quelques pointures dans son aventure artistique. Le temps de louer un studio et d’écrire les chansons, voilà deux nouveaux titres à l’actif de l’artiste qui connaîtront un grand succès.
Regarde-la marcher
Et danser son reggae
Fait trop chaud pour chanter
Fait trop soif pour noter
Trop beau pour t’expliquer
Ce qui s’passe dans l’reggae
Retour en France. Chez Barclay, tout le monde trouve ça formidable. Les réticences initiales s’estompent d’autant plus vite qu’une tournée d’été puis la Fête de l’Humanité, sur la grande scène cette fois, prouvent que Stand the ghetto et Kingston fonctionnent à merveille. Lavilliers peut repartir, désormais financé par son producteur, pour enregistrer du rock et de la salsa à New York. Et tant qu’à faire, de la musique brésilienne à Rio de Janeiro.
Les vies liées de Lavilliers, de Michel Kemper, 380 pages, Flammarion.
Très bon livre, je le redis, que votre bio, et en le relisant il y a peu j’ai encore plus apprécié l’humour très british et non pas brutish qui l’agrémente.
Le problème c’est qu’il faudra l’actualiser pour les rééditions : les aventures trépidantes de notre Nanar bien-aimé (et donc parfois bien justement chatié) continuent et il faudra rendre compte de son récent « causes perdues et musiques tropicales » ; cet album est un pur chef d’oeuvre et fait pardonner bien des errances et bien des menteries.
Et ce morceau stupéfiant : « Je cours » ; qui est capable de composer une merveille pareille, à part lui, en mêlant pareillement énergie et subtilité ?
Pour moi, c’est une des 10 plus grandes chansons françaises, tout simplement. Un classique. Et hélas, dans le maelstrom perpétuel de chansonnettes bobos qui pollue nos infortunés tympans et se chassent l’une l’autre dans les gouffres de l’insignifiant, ce fait est passé inaperçu : un « classique ».
Les autres peuvent aller se rhabiller (ne citons pas de noms), Nanar lui court toujours, en simple jean et débardeur, évidemment, et les coiffe au poteau à l’aise et sans appel.
Comme quoi rien ne vaut un Grand Fauve d’Amazone !
Sinon, vous en êtes où de la distribution du livre ?
Réponse : Au 31 décembre, il y avait à peine 3000 ex vendus. Là, je devrais avoir les chiffres du premier semestre sous cinq semaines, début octobre. Je croise les doigts, mais il est vrai que, sans promotion aucune de la presse (ou si peu !), souvent les gens découvrent ce livre entièrement par hasard. Ou par le bouche à oreilles, que je ne peux qu’encourager… MK