Piton se régale, nous aussi
« Comme la vie est étrange / Hier près de l’au-delà / J’allais tutoyer les anges / Et aujourd’hui me voilà / J’oublie le vide sidéral / J’me régale. » Dans la veine de son précédent album (et de la chanson Je suis organe de toi), Jean-Michel Piton ouvre celui-ci par une nouvelle ode à la vie, lui le rescapé pour qui l’existence ne tenait plus qu’à une greffe d’organe (1). La voix est gaie, puissante comme toujours, cousine de celle de Marc Ogeret et de Philippe Forcioli. Et la musique toute aussi enjouée qui, de cuivres en banjo, d’autoharp en violon, de flûte irlandaise en guitare hawaïenne, fait remarquable et subtile assemblée.
De surcroît acteur, Piton est avant tout chanteur et se qualifie de « chercheur de mots, essayeur de mélodies, époumoneur à plein temps. » On se l’imagine dans son labo, griffonnant des brassées de papier de ses brouillons de vers, de rimes insatisfaites sans cesse travaillées, de graines de verbe qu’il laisse mûrir en fruits de mots, de notes en ébullition décantant dans ses cornues de cuivre et de ce mobilier qui fait percus à son insu… « Et de tâches de vin partout ». A la constante recherche du mot allié au plaisir de le chanter. Et le plaisir est pluriel, allant se nicher en des chansons fort différentes, que seule unie une écriture exigeante. C’est ici presque fable, là contemplation, odes au vent fou et au soleil couchant, regard inquiet sur la fleur de l’enfant qui se fane, colère face à la réalité des enfants-soldats (« A l’âge où d’autres jouent aux billes – De la couleur des yeux des filles – Ils posent à ta joue un fusil / En te disant « Cette aventure, ça te fera l’zizi tout dur ! » – Mais c’est de terreur que tu jouis / T’as encore fait pipi-treillis ») qui nous renvoie au Petit de Lavilliers, un des plus beaux titres du disque. On remarquera tout autant Ragounite qui n’est pas sans faire songer aux Châteaux de sable de Brassens : même vain combat contre les vagues : « Car les lames les plus fortes / En feront une Aigues-mortes / Des ruines de sables mouillés. » Et ce presque autoportrait qui clôt cette livraison (dédiée à Francesca Solleville « pour qui le chant est un souffle essentiel ») : « J’aurai passé ma vie sur mes cordes vocales / A glisser sur les mots comme on fait sur un fil (…) C’est toujours sans filet / Que j’y funambulais. » Très bel album qu’il serait fou de ne point goûter…
Jean-Michel Piton, « J’me régale… », 2011, autoproduit. Le blog du chanteur.
(1) Le hasard veut que je mette en ligne ce billet lors de la 11e Journée nationale de réflexion sur le don d’organes et la greffe. Tous renseignements ici.
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