Lavilliers, partout chez lui
Pouvais-je encore narrer Nanar après avoir tant écrit sur lui ? Je ne sais mais il m’est agréable de passer le témoin à une plume amie, Antonin Bellegy, pour relater le concert du Stéphanois en ses terres. Et puisqu’on parle de lui, signalons ce brillant papier d’Emmanuel Lemieux sur le livre « Les vies liées de Lavilliers » paru ce matin-même sur le site « Les influences ».
Bernard Lavilliers, 6 juin 2011, festival Paroles et musiques à Saint-Etienne,
Mais quelle drôle et stupide idée vraiment de garnir de chaises la fosse du Zénith pour un concert de Lavilliers, qui plus est dans sa ville ?! L’âge du capitaine sans doute (qu’il ne fait pas) qui ne prédispose nullement de celui de son public, toujours « jeunes et larges d’épaules, insolents et drôles »…
C’est sous les lumières aux couleurs Jamaïcaines et Brésiliennes que l’enfant du pays clôt ce festival. « Ici, c’est toujours particulier » se plaît à nous dire cet oiseau de passage entre les crassiers de sa terre natale. Alors il fait toujours en sorte de le marquer d’une empreinte si particulière qu’on en sort toujours heureux, emplis de rêves et de voyages tel un Blaise Cendrars à la conquête de L’Or. L’engouement du public est à la hauteur de l’extraordinaire punch de l’artiste, si bien que dix secondes à peine ont eu raison de ces satanées chaises, mobilier encombrant et incongru qui sied mal avec un tel concert… L’excellent Benjamin Paulin ne croyait pas si bien dire en préambule de cette si belle soirée : « Si les fleurs ne suffisent plus, dites-le avec des flingues … » Rester assis devant Lavilliers, c’est comme Rio sans son carnaval, une colère sans Ferré, une tendresse sans femme : il manque quelque chose…
Bernard a revêtu sa veste du « Che » pour fendre le parterre du Zénith par deux fois, au travers même de la foule, telle la lame aiguisée de la machette en forêt tropicale. C’est bien là le mot : « tropical ». Les persiennes en fond de scène nous donnent l’illusion d’une terrasse à peine ombragée où se sont intimement posés, là, les sept multi instrumentistes qui ont totalement subjugué le public et porté l’artiste en un sur-mesure magistral. Les arrangements nous font redécouvrir son Saint-Etienne, voguer sur La grande marée, jouant des émotions comme un poème si bien récité, que personne ne savait plus où donner de la tête et de la bête, des jambes et du cœur. Tout le monde en a gros à la sortie de scène du fauve d’Amazone. L’ovation du second rappel encore marqué par l’extrême justesse d’un Attention fragile, à fleur de peau, laisse planer le sentiment d’un accomplissement et d’une aisance artistique devenue ce jour intemporelle. Qu’il soit à Fortaleza, à Paris ou à Saint-Etienne, sur une scène ou sur une simple terrasse face à la mer Caraïbes, Lavilliers est chez lui, posé comme un sceau sur un parchemin qu’on aime tant relire, inlassablement.
« Je ne suis pas un artiste qui ferme les yeux » nous lance-il encore, le sourire tranchant en coin tout en fusillant du regard une salle déjà conquise : « Vous êtes beaux comme la mer ! »
Peu importe si nous avons fermé les yeux, nous avons tous pris ce train avec lui, et ce bateau, et cet artiste qui nous fait tant rêver…
Antonin Bellegy.
Concernant les emprunts de Nanar, avec le temps (pour faire un emprunt à Léo Ferré), j’aurais tendance à être plus laxiste, car tout bien considéré, même lorsque notre grand pilleur d’Amazone inclut dans ses textes de larges larcins tirés d’autres auteurs, je trouve quand même très fort (-aleza) qu’il parvienne à en faire souvent des oeuvres achevées, parées de musiques bellissimes et interprétées avec conviction, et le comble: personnelles. C’est vraiment la marque, non d’une simple éponge poussive de quelques barrières de coraux du Cap-Vert, mais indubitablement celle d’un authentique magicien, au pire d’un bonimenteur génial, au mieux d’une sorte d’alchimiste fou.
Il faut encore souligner le parallèle avec Dylan: celui-ci a aussi pillé mélodies et couplets à maintes reprises, y compris les textes d’un album récent ( pertinemment intitulé: » Love and Theft ») prélevés sur un auteur …japonais !
Ces deux là sont un peu des architectes s’en allant voler à l’occasion briques, ciment et charpentes sur des bâtisses alentours afin d’édifier leurs propres édifices, souvent plus beaux, il faut l’admettre, que ceux qu’ils avaient volé.
C’est peut-être cela, avoir des « mains d’or » !