La chanson à Bourges : cherchez-là bien !
Je lis ceci dans l’excellent livre Brassens, homme libre de l’ami Jacques Vassal, ouvrage sur lequel je reviendrai :
« [Bobino, janvier 1977. Le journaliste que je suis] assiste à ce récital en compagnie de Daniel Colling, agent d’artistes, organisateur de spectacles et principal responsable d’un nouveau festival de chansons, dont la première édition est prévue pour avril suivant : il va s’appeler le Printemps de Bourges. Ils sont chargés, à l’occasion de la rituelle visite dans les coulisses, d’une mission sans grand espoir, mais que par acquit de conscience ils sont décidés à tenter : convaincre « le brave petit musicien » [qu’est Brassens] d’apporter à ce coup d’envoi la caution de sa présence et de sa participation sur scène. Pierre Onteniente les conduit donc jusqu’à la porte de l’immuable loge. « C’est pour la défense de la chanson, plaident-ils timidement : un grand festival à Bourges, avec entre autres Charles Trenet. On aimerait tant que vous soyez des nôtres… » (1)
La défense de la chanson ? « La passion quasi exclusive du Printemps de Bourges pour la chanson n’aura duré que le temps de son éclosion (2) ».
Dick Annegarn, Julos Beaucarne, François Béranger, Michèle Bernard, Alain Bert, Jacques Bertin, Claude Besson, Toto Bissainthe, Jean-Max Brua, Michel Bühler, Yvan Dautin, Gilles Elbaz, Leny Escudéro, Joël Favreau, Font et Val, Les Frères Jacques, Jacques Higelin, Bernard Lavilliers, Colette Magny, Mama Béa, Claude Marti, Alain Meilland, Geneviève Paris, Serge Reggiani, Catherine Ribeiro, Charles Trenet, Jean Vasca, Joan-Pau Verdier… telle était la programmation, lors de sa première édition, en 1977, du « fameux » Printemps de Bourges. Après trente-cinq épisodes, que sont nos amis devenus, où est encore la chanson dans cette manifestation hyper médiatisée, vendue aux marchands du temple et aux courants dominants ? En quels interstices, sur quels podiums de quelle anisette, la chanson s’y produit-elle encore ? Dans des bars et caves de la ville seulement, en mode underground.
En 1977, la chanson avait pour elle encore un peu des médias audiovisuels (les « radios libres » n’existaient pas encore, qui seront vite vendues au pouvoir de l’argent facile), des réseaux d’un peu partout dans l’Hexagone (associations et autres mjc), la presse quotidienne lui ouvrait encore ses colonnes. Trente cinq ans après, alors que jamais sans doute il n’y a eu autant d’artistes et de groupes, la chanson a perdu les salles qui la faisaient vivre, a perdu le soutien de la presse qui a majoritairement troqué sa case culture pour celle du people et de la télé, nivelant au plus bas de son lectorat, ne vit dans quelques radios que triée par le filtre de partenariats exclusifs avec ce qu’il reste de gros labels. Et perd peu à peu ce qui fut sa vitrine : les festivals. Ne va-t-il rester un beau jour que La Rochelle pour encore célébrer les amours sans cesse renouvelés de la chanson et du (grand) public ?
Bourges est devenu le rendez-vous de toutes les tocades de l’instant : de ces groupes et chanteurs français qui singent sans talent l’anglo-saxon dominant, de ces musiques actuelles qu’on promeut au rang de patrimoine, de ce rock, de ce punk, de ce… De tout ce qui peut encore se transformer en or. Bourges est désormais sans aucune valeur éthique, politique : il est un bizness sans âme, disneyland du son et de la vacuité.
Et, à la marge, dans les bas-fonds berruyers, comme des parasites qui se nourriraient de ce qu’il reste de miettes, une chanson qui crie encore, dans l’indifférence médiatique, « coucou, je chante encore ». Il faut oublier le Printemps de Bourges, le chasser de notre cartographie chanson, définitivement le honnir.
(1) 2011, Le Cherche-midi éditeur.
(2) in « Le Printemps de Bourges, Chroniques des musiques d’aujourd’hui » de Stéphane Davet et Franck Tenaille, Découvertes Gallimard, 1996.
Bravo Kemper ! Merci pour votre juste appréciation de ce festival devenu odieux. Mais diantre, vous n’être pas prêt d’être embauché comme chroniqueur au figaro ou à Télérama…Effectivement , le printemps de Bourges est devenu l’hiver de la chanson française, et après une courte arrière-saison où il fut l’été indé d’un certain renouveau vite étouffé dans le maelstrom chobisnesque ( mais aussi dans la vase de beaucoup de ces chanteurs et groupes confondant trop souvent spontanéité avec génie et rage avec pertinence et vacuité avec avec acuité)le voici devenu simple vitrine de la variété bobo qu’est majoritairement devenu cet art majeur pourtant jadis initié et jalonné par les Ferré, les Brel, les Vigneault, les Gainsbourg, les Higelin et autres Lavilliers. On sent que ce printemps-là, jadis prometteur de toutes les éclosions rebelles, se damnerait à présent pour faire un pont d’horreur à n’importe quel Bénabar, Julien Doré, M, Ours et autres plantigrades, voire même à dérouler le tapis rouge pour la Joan Baise de l’Elysée.
« C’est lorsque tout semblera perdu que tout sera sauvé » dit l’ancienne sagesse; espérons que de nouveaux en-chantements viendront après ces longues années de mornitude !
Je reçois régulièrement vos articles depuis plusieurs mois et je me régale. Je me dis chaque fois » tu vas laisser un commentaire ». Jusqu’à présent je ne prenais pas le temps de le faire, mais là, je veux vous remercier de ce que vous m’apportez. Brièvement vous donnez des informations précieuses, votre sentiment et votre avis sur ce petit monde de la chanson avec toujours beaucoup d’objectivité. Merci
Salut,
je tombe sur ton article par l’intermédiaire des alertes Google ! ( Big Brother is watching you !)
Rien à rajouter… c’est tout à fait ce que je pense de ces anciens faux-prophètes qui nous ont fabriqué ce monde faisandé.
on peut dire aussi la même chose des Francofolies et même de certains autres festivals qui se disaient marginaux et qui aujourd’hui boivent aux mamelles du show-biz.
j’ai sorti un disque il y a peu sous un petit label. Si tu as envie de l’écouter donne-moi par mail ton adresse postale.
allez ! comme disait le vieux Ferré : fraternellement
Joan Pau Verdier